23° Dimanche du TO*A Mt 18, 15-20

Aujourd'hui, frères et sœurs, il y a un intrus dans l'évangile, un intrus très étonnant et problématique… Cet intrus n'est autre que… « l'Église » ! Pourquoi l'Église est-elle un intrus ?
Parce qu'on ne trouve nulle part le mot « église » dans les évangiles, jamais chez Marc, Luc ou Jean ! Seulement ici chez Matthieu, deux fois coup sur coup dans le même verset, et une troisième fois dans le récit que nous avons entendu il y a quinze jours, la confession de Pierre. Et nulle part ailleurs. Ce phénomène n'est pas banal ; il peut nous aider à mieux comprendre ce qu'est l'Église et ce qu'elle n'est pas.

Pourquoi les évangiles ne parlent-ils pas de l'Église ?
Parce qu'au temps que racontent les évangiles, l'Église n'est pas encore née. L'Église ne prend naissance qu'à Pâques, à Pentecôte, elle naît de la Résurrection, et seulement de la Résurrection : elle est ce Corps vivant dont le Christ ressuscité est la tête, un Corps, vivant, animé par l'Esprit Saint. Avant la Résurrection, il n'y a rien qui ressemble à l'Église.
Alors les Douze qui cheminent avec Jésus au temps que racontent les évangiles ne sont pas encore l'Église, ils ne sont que douze gros balourds qui ne comprennent pas grand-chose à ce Jésus, à ce qui va leur arriver, à leur propre histoire, comme nous.

Mais à quoi sert l'Église ?
Eh bien, à nous faire ressusciter avec le Christ, rien de moins.
Jésus parle au futur ; il a dit à Pierre : « sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». « Mon Église » ! Pensez à ce que Jésus dit ailleurs du Temple qu'il reconstruira en trois jours : « il parlait du sanctuaire de son Corps » (Jn2,21). C'est donc Jésus qui bâtit son Église, son Corps ressuscité, comme il l'entend, ce n'est pas nous.
Mais nous, qu'est-ce que nous avons à faire ? Saint Matthieu le souligne en répétant deux fois notre programme. À Pierre, Jésus précise aussitôt : « ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux ». Nous retrouvons aujourd'hui cette parole au pluriel : « ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans les cieux, ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux ». Cette consigne-là est si fondamentale que Matthieu l'a répétée chaque fois qu'il a fait entendre le mot « église ».
Ici, je crois que nous devons faire une pause.
Surtout ne pas aller trop vite. Essayer d'oublier d'abord la leçon apprise, à travers des siècles de théologie. Oui, bien sûr, il s'agit du pardon qui nous vient par l'Église, mais d'abord rouvrir ses oreilles, écouter vraiment pour elle-même cette parole de Jésus. Je vous propose d'entendre aujourd'hui trois points, trois accents, trois notes essentielles dans la mélodie évangélique, dans la chanson de l'Église.

La première note : mais qui c'est, l'Église ? – « tu…vous » ; « ce que tu auras lié… ce que vous aurez lié… ».
L'Église est notre passage du singulier au pluriel. L'Église n'est pas Pierre, ni les apôtres, ni le groupe des disciples. Non ! L'Église est bâtie sur lui, sur eux, sur nous : l'Église, c'est ce qui prend corps entre nous, chaque fois que quelqu'un parle avec un autre, quel qu'il soit, s'intéresse aux autres, quels qu'ils soient. Quand quelqu'un accepte de ne plus être lui tout seul face à Dieu. Quand de ce fait il ose même affronter l'autre avec lequel il n'est pas d'accord, l'autre qui l'a offensé, blessé. Passer de un à deux, passer à deux ou trois, passer à l'assemblée des proches, ouvrir le cercle, toujours… Tout sauf Dieu et moi tout seul, parce que mon salut pour moi tout seul, cela n'a rien à voir avec l'Église du Christ Ressuscité.

Second point: comment ça marche ? – « sur la terre… comme au ciel ; au ciel… comme sur la terre ».
Ce que je fais ici vaut déjà là-haut, là-bas. Je suis responsable dès maintenant. L'Église est née de la Résurrection : cela veut dire qu'en elle, la vie éternelle est déjà commencée. Inutile de chercher ailleurs, autre chose, autrement. Il n'y a pas de second niveau. C'est ici et maintenant. Notre vie a pleine valeur. Nous en sommes tous responsables.

Troisième point : « mais alors, que devons-nous faire pour être sauvés » ? – « lier… délier ».
Faire du lien, créer du lien, créer des liens, des solidarités, mais aussi libérer, défaire les liens qui entravent, qui enchaînent et font mourir. Dès maintenant. Ne pas attendre le ciel, le faire dès maintenant sur la terre, créer des liens et libérer. Nous le savons bien, il y a une absence de liens qui équivaut à la mort, car nous sommes tous interdépendants. Mais il y a des liens qui parfois nous étranglent et nous condamnent à la mort. Lier, délier, pour que grandisse la vie. Voilà la tâche passionnante et  infinie d'un chrétien.

Que cette eucharistie nous redise l'horizon immense du salut que Jésus nous a ouvert.

P. David