2° Dimanche de l'Avent (B) Mc 1, 1-8

La liturgie nous donne à lire aujourd'hui le début de l'évangile selon saint Marc. Nous savons que c'est le premier, le plus ancien, et son premier mot est « commencement ».

Nous risquons d'entendre cela beaucoup trop faiblement, en pensant que c'est une formule liturgique. Pas du tout ! Cela n'est devenu une formule liturgique que bien plus tard. Pour saisir la puissance de ce mot « commencement », il faut regarder ce qu'en ont fait deux autres évangélistes, qui furent des lecteurs de Marc.

Jean ouvre son évangile en disant non plus « commencement », mais « Au commencement », reprenant ainsi les mots qui sont les premiers du Premier Livre, la Genèse, rapportant ainsi ce commencement de Jésus au commencement de la Création tout entière : quelle audace ! Matthieu, lui, ouvre son évangile en disant carrément « Livre de la Genèse de Jésus Christ » ! C'est de plus en plus limpide : dans ce commencement de Jésus, tout commence ou recommence, tout a toujours commencé. C'est un véritable pavé dans la mare du judaïsme officiel.

Et pourtant, Marc enchaîne aussitôt avec une référence, « comme il est écrit ». C'est paradoxal : ce commencement a été précédé d'une écriture, a été prédit, prophétisé.

Ce qui veut dire que ce commencement de Jésus ne nie pas l'histoire, le passé, les généalogies, les Écritures, mais il les intègre, il se glisse dedans. Luc, le troisième évangéliste, mieux que tout autre montrera cette intégration comme une discrétion maximale : le commencement de l'histoire de Jésus passe complètement inaperçu dans l'Histoire officielle qui se déroule sans lui et loin de lui, loin de César-Auguste, loin de Rome.

Un grand processus se dessine ainsi : celui d'une RE-connaissance, une connaissance après coup, a posteriori. Tout l'évangile est RE-lecture. Tout l'évangile se présente comme ce que vont raconter à leurs proches, deux hommes qui faisaient route un soir avec un Inconnu, quelque part entre Jérusalem  et Emmaüs, un Inconnu qui leur disait : « n'avez-vous donc pas lu dans les Écritures ? n'avez-vous donc pas compris ? »

Notre naïveté nous pousse à nous mettre en route à blanc, à partir de rien, à imaginer la table rase ; de ce point de vue, le cartésien qui sommeille en nous est un super-naïf, en prétendant tout construire tout seul, à partir de ses seules facultés. Non !

La réalité incontournable, c'est que nous sommes précédés de toutes parts, et c'est cela la condition humaine, être précédé. Les maîtres du judaïsme l'ont tellement bien compris qu'ils ont dit : oui, c'est pour cela qu'en hébreu, la première Lettre du premier livre de la Torah, le livre de la Genèse, est un beth, et pas un aleph : bereshit. Traduisons : un B et non pas un A. La première lettre, celle qui dit  « au commencement », bereshit, est la seconde, B ! Notre premier pas à nous est le second. Parce que le premier-premier, l'aleph, l'alpha, le A, nul ne peut l'atteindre ; il est à Dieu seul. L'origine est à Dieu seul. Nous, nous n'avons que des commencements…

Jésus lui-même a été précédé, et sa manifestation, son épiphanie, n'est pas initiale, elle est seconde, elle est un deuxième temps. Quand il apparaît, c'est un adulte : il y a d'abord eu une vie cachée. Pas tout de suite la Lumière, mais d'abord l'obscurité, la nuit, l'ignorance, et ensuite, du sein des ténèbres, la Lumière.

Ainsi le Nouveau Testament surgit de l'Ancien et l'éclaire.

La Résurrection surgit de la Croix et l'éclaire.

Nous savons que les évangiles se sont écrits selon une marche à rebours, et que les récits de l'enfance de Jésus, chez Matthieu et Luc, sont les plus tardifs, et que leur lumière vient encore de la Résurrection.

Nous le savons bien, mais nous n'en vivons guère. Car nous n'aimons pas être précédés.

Dans l'évangile d'aujourd'hui, la personne de Jean-Baptiste dit cela, l'exprime et l'incarne dans la vie même de Jésus.

Jésus a accepté d'être précédé, non seulement dans une histoire, dans une prophétie, dans une généalogie, mais également dans son action personnelle et sa parole. Il n'a pas seulement accepté cela comme un pis-aller, il en a fait une condition de sa propre action et de son témoignage, il a reconnu l'autorité de Jean-Baptiste, une telle autorité qu'il n'était plus possible ensuite d'oublier Jean, de le gommer, quand il s'est avéré que la personne à regarder n'était pas Jean, mais Jésus.

Nous commençons toujours notre vie spirituelle par un quiproquo ; nous nous hâtons de gommer ceux qui nous ont tracé la route, ouvert le chemin. La reconnaissance est loin d'être naturelle, loin d'être innée. Nous n'apprenons à RE-connaître qu'avec beaucoup de lenteur et de maladresse, reconnaître, à tous les sens du mot : reconnaître nos limites, reconnaître nos talents, reconnaître nos dettes, la dette de la vie, reconnaître les autres pour ce qu'ils sont, reconnaître Dieu.

Eucharistie veut dire reconnaissance, action-de-grâce.

Dans chaque eucharistie, le Christ nous initie à ce qui est destiné à devenir notre vie, une vie tout entière de RECONNAISSANCE.

frère David