14° Dimanche du TO*A Mt 11, 25-30

Pousse des cris de joie fille de Sion car il vient à toi, ton roi, lisons-nous avec le prophète Zacharie et saint Paul au Romains de nous dire que nous devons vivre grâce à l'Esprit qui habite en nos cœurs. Et Jésus de parler de la bienveillance du Père en nous disant : venez, vous tous qui peinez, et je vous procurerai le repos, mon joug est léger.

Elles sont plutôt sympathiques, réconfortantes, joyeuses et pleines d'espérance les lectures de ce dimanche alors que notre pays est bien agité. Elles pourraient cependant se révéler plus paradoxales avec ces paroles de Jésus : Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux petits. Et là, nous pressentons bien que Jésus ne s'inscrit pas dans une sorte de manichéisme réducteur fustigeant évidemment la sagesse ou la science mais plutôt un certain vernis de savoir étroit et réducteur, parent de l'hypocrisie et du sophisme. Nous devons bien comprendre que Jésus ne saurait évidemment condamner la Sagesse des livres sapientiaux qu'il vient, non abolir, mais accomplir, comme la Loi. Et c'est là qu'il faut peut-être resituer ce passage d'Évangile dans un contexte particulièrement polémique de la part de certains bien-pensants et responsables du peuple fondamentalement dérangés par Jésus qui, dans les versets précédents les comparent à des gamins mais pas à des enfants : nuance ! Et dans les versets qui suivent notre passage du jour, Jésus va jusqu'à dire que Sodome et Gomorrhe auront un sort plus enviable que ceux qui ne l'accueillent pas en toute simplicité et ouverture de cœur, qu'ils aient ou non réussi leur test d'intelligence, de QI. Et c'est là qu'il faut encore essayer de comprendre en vérité cette petitesse dont parle Jésus, cet esprit d'enfance qu'a si bien vécu la petite Thérèse de Lisieux, petitesse des véritables enfants et non de gamins suffisants et irresponsables ; cette petitesse en vérité, qui n'a rien de commun avec bêtise, ignorance et mièvrerie. Petitesse en vérité qui n'est pas autre chose qu'une véritable sagesse et intelligence s'enracinant dans la folie de Dieu aux yeux du monde, folie d'un amour allant jusque sur une croix. Sagesse et intelligence selon les critères de Dieu que nous pourrions bien aller chercher dans les Béatitudes avec lesquelles l'on constate la situation paradoxale de bonheur de ceux qui pleurent, qui sont assoiffés de justice, etc., parce qu'ils sont en une situation de manque qu'ils ne peuvent pas combler par eux-mêmes, sinon grâce à Dieu, parce que leur pauvreté, leur petitesse leur permet justement de faire place à autre chose qu'eux, à l'autre, au Tout Autre. Avec ses mots si beaux, Madeleine Delbrel explique ainsi qu'être pauvre c'est croire qu'on a le cœur trop petit pour Dieu, alors, poursuit-elle, on sort tout le reste pour que le plus grand morceau de Dieu puisse y tenir (…) toute la place en n'appelant plus nécessaires ce que les préjugés et autres esprits mondains nomment tels.

Voilà en quelque sorte, la vraie sagesse et intelligence de la petitesse en vérité qui fait que l'on manquera toujours de quelque chose et qu'il y aura toujours en nous un espace, une place pour l'autre, pour Dieu, espace sans cesse à dilater, à recréer contre les forces d'ensablement, d'encombrement, de chaos, de mort. Madeleine Delbrel va jusqu'à dire : Tout ce dont nous pouvons nous passer et que nous gardons doit quelque part priver un frère de quelque chose et surtout priver Dieu d'un peu de nous-mêmes : facile à dire, mais si peu évident à vivre même très partiellement.

Et c'est ainsi qu'il faudrait peut-être comprendre aussi la sagesse du joug léger de Jésus car joug libérateur de ce qui ne peut que nous encombrer, nous asservir, ralentissant la marche voire l'arrêtant sans nous en apercevoir, empêtrés que nous serions peut-être dans le plus profond désespoir qui paralyse ou bien dans la suffisance caricaturale d'un prétendu bonheur : Pauvre fou a dit Jésus en une parabole, alors que tu te croyais tranquille, cette nuit  même on te redemande ta vie.

Un grand spirituel du 20e siècle, le Père Jacques Loew, disait en substance de ce joug qu'il pourrait aussi être vu comme une colonne vertébrale, c'est-à-dire l'Esprit de vie habitant en nos cœurs comme le suggère aujourd'hui saint Paul, la Parole de vie nous permettant d'être des vertébrés de la foi avançant librement, le cœur de plus en plus dilaté et non comme des invertébrés de la foi prisonniers de leurs préjugés, de leur suffisance, de leur ignorance, de leur peur et de leur haine.

Et ce repos promis par Jésus ne serait certainement pas un simple répit dans les adversités de l'existence ni la négation de celles-ci, ni non plus d'être prétendument sans-souci comme le nom de la demeure du roi de Prusse Frédéric II où une foule de soucis venaient quand même l'assaillir. Il s'agirait plutôt d'un repos dynamique, comme une sorte de paix discrète mais confiante, joyeuse et active permettant d'affronter les eaux profondes de son existence, en vérité, permettant peut-être de considérer avec paix les événements, peut-être comme le surfeur jouant non pas contre mais avec la vague. Une paix, une joie venue d'au-delà de soi et permettant comme le disait un jour le saint pape Jean-Paul II d'accepter tout simplement sa vie comme un don reçu et non comme une possession égoïste.

Alors oui, laissant ainsi toujours plus de place à cet hôte intérieur bienveillant, nous pourrons mieux comprendre que son joug est un dynamisme qui permet sans cesse de choisir la vie et dans la joie, de dire comme le psalmiste (ps. 83) : En moi, cœur et corps ont bondi vers le Dieu de vie. A mesure qu'on avance dans la vie et dans la foi, dit aussi saint Benoît au prologue de la Règle, le cœur se dilate et dans l'indicible douceur de l'amour, on court sur la voie des commandements de Dieu, de sa loi, de son joug de vie.                     

Frère Philippe-Joseph