Sainte Trinité (C) Jn 16, 12-15

Un de mes professeurs de théologie aimait la provocation. Une de ses affirmations favorites était : « Il y a bien longtemps que je ne crois plus en Dieu ! Non, c'est vrai : je ne crois pas en Dieu… » et, devant l'air ébahi de son auditoire, il ajoutait, satisfait de son effet : « mais je crois au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit !!! », ce qui finissait par en rassurer et en soulager un bon nombre !

Derrière cette boutade, frères et sœurs, je crois que s'exprimait une vérité essentielle de notre foi chrétienne, dans ce qu'elle a de plus original, de plus spécifique, dans ce qui fait justement qu'elle est “chrétienne” et non vaguement déiste.

Généralement, le mot “Trinité” fait peur. Il serait complexe, technique, voire jargonneux et donc élitiste, réservé à de savants spécialistes. Bien éloigné de la foi simple des simples gens, il apparaît abstrait, incompréhensible, trop théologique, ou du moins intellectuel, ce qui le rend à peu près synonyme de “casse-tête illogique et insoluble”…

On lui préfère le mot “Dieu”, sur lequel presque tout le monde s'accorde (ou feint de s'accorder) : croyants et incroyants, toutes religions confondues. Or, ce que mon professeur m'a aidé à réaliser, c'est que “Dieu” bien souvent n'est qu'une idée, une notion. “Dieu” peut rester une chose assez vague, un peu passe-partout et finalement sans contenu, ou plutôt à quoi chacun attribue le contenu qu'il veut.

Au contraire, parler du Père, du Fils et du Saint-Esprit comme étant les trois personnes de la Trinité nous oblige à les considérer de manière concrète et réelle, comme on le fait habituellement avec des personnes. Cela instaure entre Dieu et nous une relation plus intime, plus “personnelle” (c'est le cas de le dire !). Plus personnelle, et pourtant moins subjective, moins sujette à l'imagination de chacun : car la Trinité, ce n'est pas Dieu tel que l'homme se l'imagine ou l'invente, mais c'est Dieu tel que lui-même s'est révélé et se révèle à l'homme, objectivement.

C'est ce que disait la prière d'ouverture : « Dieu notre Père, tu as envoyé dans le monde le Verbe de vérité et l'Esprit qui sanctifie pour révéler aux hommes ton admirable mystère. » Et la Préface reprendra comme en écho : « Ce que nous croyons de ta gloire, parce que tu l'as révélé, nous le croyons pareillement, et de ton Fils et du Saint-Esprit. »

Le problème avec la Trinité, c'est que nous voudrions la comprendre, en la décortiquant, en l'analysant, alors que c'est elle en fait qui nous comprend, nous englobe en quelque sorte, parce qu'elle nous a créés, nous anime, … parce qu'elle nous aime ! Depuis notre baptême (« au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit »), nous sommes marqués par la Trinité. Nous avons été littéralement baignés en elle et nous baignons toujours en elle, nous la respirons, elle est à la fois notre origine et notre fin.

Un jour, un vieux Père-Blanc du Mali me racontait cette histoire d'un missionnaire (encore plus ancien que lui) appelé auprès d'un catéchumène qui allait mourir. Alors qu'il décide de le baptiser sur le champ, un jeune novice qui l'accompagnait s'en étonne : « Mais, mon Père, est-ce que vous lui avez enseigné la Trinité ? » Et le missionnaire de lui répondre : « Ne t'inquiète pas : la Trinité, il va la rencontrer avant nous ! »

J'ai envie de dire que la Trinité pour nous, c'est (ou ça devrait être) Dieu au quotidien, Dieu avec nous au jour le jour : Dieu “tout simplement” si j'ose dire ! Selon les mots de saint Paul dans la lettre aux Romains, c'est « l'amour de [ce] Dieu » qui « a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint », c'est en paix avec ce Dieu que la foi en Jésus Christ nous établit, et c'est « dans l'espérance d'avoir part à la gloire de [ce] Dieu » que « nous mettons notre fierté ». Il n'est pas anodin que la solennité de la Trinité, après le Temps pascal, soit le premier dimanche de la reprise du Temps dit “ordinaire”. D'ailleurs, la belle préface de la Trinité, que nous entendrons aujourd'hui, était autrefois celle de tous les dimanches (hormis à Noël, en Carême et au Temps pascal).

Parce que révélé par Dieu, il nous faut donc croire cet « admirable mystère » et l'adorer. Oui, croire et adorer : c'étaient les deux termes de la collecte (« donne-nous de professer la vraie foi en reconnaissant la gloire de l'éternelle Trinité, en adorant son Unité dans sa toute-puissance ») ; verbes que nous retrouverons dans la Préface : « quand nous proclamons notre foi au Dieu éternel et véritable, nous adorons en même temps chacune des personnes, dans leur unique nature et leur égale majesté. »

Adorer le mystère de la Sainte Trinité, nous le ferons de la meilleure manière qui soit en communiant tout à l'heure au Corps du Christ. Pour ce qui est de croire ce mystère de foi, de le croire « dans la vérité toute entière », je vous propose, avant que nous récitions le Credo, de conclure cette homélie en priant comme le pape saint Paul VI (Audience générale du mercredi 30 octobre 1968) :

« Seigneur, je crois : je veux croire en Toi.
« Ô Seigneur, fais que ma foi soit entière, sans réserves, et qu'elle pénètre dans ma pensée, dans ma façon de juger les choses divines et les choses humaines ;
« Ô Seigneur, fais que ma foi soit certaine ; forte d'une convergence extérieure de preuves et d'un témoignage intérieur de l'Esprit Saint, forte de sa lumière rassurante, de sa conclusion pacifiante, de son assimilation reposante ;
« Ô Seigneur, fais que ma foi soit humble et qu'elle ne croie pas se fonder sur l'expérience de mon esprit et de mon sentiment ; mais qu'elle rende témoignage à l'Esprit Saint, et qu'elle n'ait d'autre garantie que dans la docilité à la Tradition et à l'autorité du magistère de la Sainte Église. Amen. » 

fr. Jean-Roch