Pentecôte (C) Jn 14, 15-16.23b-26

Veni pater pauperum (« Viens, père des pauvres »), venons-nous de chanter avant d'entendre l'évangile. La séquence de cette messe – le Veni Sancte Spiritus – est, avec l'hymne Veni Creator, le texte le plus connu et chanté de la liturgie romaine pour la solennité de la Pentecôte. Composée par Etienne Langton, archevêque de Cantorbéry, au XIIIème siècle, cette séquence nous donne à voir l'Esprit Saint comme le Don de Dieu qui comble le cœur des pauvres. Le fondement scripturaire est évident : Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le royaume des cieux est à eux, dit Jésus au début du Sermon sur la montagne. C'est en effet par cette Béatitude qu'il commence à parler à ses disciples (Mt 5,3).

Si dans cette séquence, l'Esprit Saint est appelé « père » – ce qui n'est pas vraiment habituel –, c'est parce qu'il est le Souffle qui féconde le sein de la Vierge Marie, elle qui avait un cœur de pauvre, un cœur pur. L'Esprit du Père est aussi celui du Fils, qui creuse également en nos cœurs la capacité de recevoir ses dons, dans la pauvreté de notre âme. Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus l'a bien compris, depuis toute petite, et toute la théologie de ce grand docteur de l'Eglise en découle. L'expression – « père des pauvres » – se retrouve, telle quelle, une seule fois dans l'Ancien Testament. Quand Job considère le temps de sa prospérité, avant d'être dépouillé de toute sa richesse, il s'écrie : « C'était moi le père des pauvres » (29,16). Ayant en sa possession de nombreux biens, il perd tout subitement – ses enfants, sa maison, sa santé – et à cause de sa fidélité dans l'épreuve, il est comblé au centuple à la fin de sa vie, bien au-delà de tout ce qu'il avait auparavant. Le patriarche Joseph également, dans la Genèse, est appelé père du Pharaon, maître de toute sa maison et régent de tout le pays d'Egypte (45,8). C'est lui qui sauvera sa famille et tout le peuple hébreu de la famine. Comme Job, il a perdu tout ce qu'il avait reçu de son père, la tunique sans couture qui faisait jalouser ses frères – eux qui chercheront à le tuer, mais qui finalement le vendront à des marchands dans le désert –. Plus tard il refera sa vie en Egypte, où il prospérera. Tout cela veut nous dire que l'homme qui se fait pauvre pour tout recevoir de Dieu, alors qu'il était riche, et qu'il consent à toujours repartir de zéro, à toujours refaire confiance à Dieu qui donne sans cesse, celui-là est « bienheureux », dans le sens de l'évangile, capable de donner à son tour. L'Esprit Saint est « père des pauvres », car même les rois, les princes et les hommes les plus puissants de la terre sont des pauvres devant Dieu. Ils doivent leurs richesses à l'unique Don qui est celui du Souffle divin. Sans l'Esprit Saint qui est la respiration de nos cœurs, nous ne pouvons pas vivre, et nous sommes démunis. Comme des pauvres, nous devons mendier ce Don, qui est notre unique richesse ; richesse qui se déploie dans la multiplicité des charismes.

Saint Paul, dans l'épître aux Romains, explique que c'est l'Esprit qui fait vivre, et non la chair, et que tous ceux qui se laissent conduire par l'Esprit sont des fils de Dieu qui crient : « Abba, Père » ! Si la théologie nous apprend qu'il y a trois personnes divines en Dieu, et que l'Esprit procède du Père et du Fils, il n'empêche que nous pouvons dire que l'Esprit aussi, en quelque sorte, est père ; tout comme nous pouvons dire que le Fils est un père pour ses disciples, quand il nous conduit vers le Père, et qu'il nous le révèle. L'Esprit, lui, nous fait ressentir la paternité de Dieu quand il nous protège, nous console et nous enveloppe de sa tendresse et de son amour infini. En fait, l'Esprit comble le cœur des humbles, car lui-même est l'Humble. Cette séquence que nous avons chanté le dit bien, car les deux prières de demande – Veni pater pauperum et veni lumen cordium (viens, lumière des cœurs) – partent de la note Do, qui est la sous-tonique (c'est-à-dire celle qui est sous la note principale), comme pour souligner l'humilité de la demande.

Nous devons donc demander humblement le Don de l'Esprit Saint, en nous situant à son niveau. L'endroit où se trouve l'Esprit est à chercher dans la discrétion, l'écoute attentive, la pudeur, la retenue. C'est là qu'il agit, quand la pauvreté et le vide font un appel d'air. Il est présent comme un Souffle léger, se faisant invisible, laissant toute la place au Christ visible au milieu de nous. Il se montre comme le vent qui souffle, invisible et pourtant bien présent, insaisissable, imperceptible. Comme l'eau, il nous échappe des mains, et peut briser le cœur le plus endurci à force de douceur. L'Esprit est la Force de Dieu dans la faiblesse, la Puissance de l'amour. Pensons à l'invoquer quand nous nous sentons pauvres, car c'est là qu'il pourra vraiment agir, au cœur de notre fragilité. Comme des vases d'argile, il nous remplit de part en part, et nous renouvelle de l'intérieur. Oui, Viens Père des pauvres ! Amen.

Fr. Columba