Saint Benoît (C) Mt 19, 27-29

Qu'est-ce qu'il y aura pour nous ? Rien de moins que « l'héritage de la vie éternelle ». Oui, c'est un trésor que Dieu nous prépare, et que nous passons notre vie à chercher. Nous goûtons déjà ici-bas les fruits de cet héritage qui nous est destiné. Comme saint Benoît (Benedictus), nous sommes bénis et comblés, dit saint Paul aux Ephésiens, des bénédictions de l'Esprit au ciel, dans le Christ. Dieu nous a choisis, destinés à devenir pour lui des fils adoptifs, par Jésus le Christ : dessein d'amour bienveillant, à la louange de gloire de sa grâce. Aux Colossiens, c'est le même message : Puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion (…) ayez l'amour, qui est le lien le plus parfait. (…) Que la parole de Dieu habite en vous dans toute sa richesse. Paul nous invite à l'action de grâce, à chanter notre reconnaissance par des hymnes et des psaumes.

Tout un programme pour toi, Camille, qui es musicienne et qui fais en ce jour « oblation », c'est-à-dire l'offrande de toute ta personne, afin d'être pour Dieu une « louange de gloire », pour reprendre l'expression de ton amie du ciel, sainte Elisabeth de la Trinité, qui avait fait du mystère de la prédestination l'horizon de toute sa vie ; « prédestination » qu'elle a précisément découvert chez saint Paul, et qui est l'un des thèmes récurrents de sa doctrine spirituelle et mystique, avec l'infini, l'adoration, la louange et le service. Prédestination, il faut le préciser, qui ne nie pas la liberté de l'homme, et qui n'a rien à voir avec un fatalisme où tout serait réglé et défini par avance. Bien au contraire, la prédestination est une vocation, une réponse totale et libre à vivre dans le Christ le projet divin qui veut que l'âme soit associée à la vie trinitaire.

L'amour de Dieu est pour tous, et il n'est pas réservé à quelques élus privilégiés. Jésus dit bien : Tout homme qui aura quitté… L'héritage de la vie éternelle n'est pas uniquement l'apanage des consacrés, mais bien pour tous les baptisés. Tous - laïcs, clercs ou religieux -, nous avons besoin de quitter quelque chose pour pouvoir recevoir cet héritage. Se donner à son mari ou à ses enfants est un témoignage de sainteté qui est aussi grand que de consacrer sa vie à Dieu comme prêtre ou dans la vie religieuse. Pour se donner, il faut se quitter soi-même. Mais attention, cela ne veut pas dire qu'il faille se négliger. Bien au contraire, cela demande de se respecter, de prendre soin de soi-même, d'abord dans la relation à Dieu : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu (…) et ton prochain comme toi-même. Pour pouvoir s'offrir aux autres, il faut d'abord creuser en soi-même, comme un chercheur de trésor, pour découvrir la Source cachée et enfouie, afin qu'elle jaillisse de nouveau et nous rassasie de l'intérieur. C'est cela, la crainte du Seigneur, la connaissance de Dieu. Il ne s'agit pas d'une peur de Dieu, mais d'un respect immense, d'une révérence infinie pour celui qui donne aux hommes de pouvoir participer à sa sagesse, à sa justice, à son discernement. Le Seigneur nous veut heureux en lui, dans l'amour et la connaissance, comme lui-même est Amour.

C'est tout le mystère de l'oblation que nous célébrons aujourd'hui. Nous ne pouvons offrir à Dieu et aux autres que ce que nous avons nous-mêmes reçu de Dieu et des autres. L'acte d'humilité suppose d'avoir besoin du prochain, et d'être ouvert à l'altérité. Je ne me construis pas tout seul. Je ne suis pas une île, une partie isolée du reste du monde. Ce que j'ai, je le dois à mes parents, à mes amis, à mes frères, à tous ceux qui m'ont soutenu. Et quand on a beaucoup reçu, on est dans l'action de grâce, la gratitude et l'émerveillement. On a envie de donner à son tour, simplement en disant « merci ». Car Dieu ne nous demande pas de nous donner à corps perdu, dans le vide, en ne gardant rien pour nous-mêmes, mais il nous invite à toujours nous laisser remplir par son Esprit qui habite en nous, afin que ce soit lui qui donne et qui se donne à travers nous.

Vous qui m'avez suivi (…) vous siègerez vous-mêmes sur douze trônes, dit Jésus aux apôtres. Le suivre, être en mouvement avec lui, c'est aussi demeurer en lui, dans le même temps. Dans le Christ, nous trouvons le repos, la paix qui nous fait traverser les épreuves de la vie, qui nous fait franchir la porte étroite de l'amour. Car l'amour vrai n'est pas une chose facile et superficielle. Il est exigeant, et demande beaucoup de renoncements, de purifications intérieures. Mais ce que nous laissons est tellement peu, par rapport à ce que nous recevons, au centuple ! Avec toi Camille, qui te donne à Dieu dans l'oblation, offrons nos vies et soyons dans la reconnaissance pour tous ses bienfaits. Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. Amen.

F. Columba