15° Dimanche du TO*C Lc 10, 25-37

Comment aimons-nous Dieu et le prochain ? Nous pouvons aimer de bien des manières selon notre définition du prochain. C'est là toute la question du docteur de la Loi à Jésus « Qui est mon prochain ? ». Il la pose après lui avoir demandé ce qu'il faut faire pour avoir en héritage la vie éternelle et finalement de répondre par lui-même à Jésus ce qu'il y a d'écrit dans la Loi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »

Face à cet homme dépouillé, roué de coups, laissé à moitié mort de la parabole contée par Jésus, un prêtre le voyant passe de l'autre côté, de même un Lévite. Ainsi, l'un comme l'autre ne reconnaisse pas dans cet homme blessé quelqu'un de proche de par leur état de prêtre et de lévite

En effet, le prêtre en vertu du livre du Lévitique ne peut se rendre impur auprès d'un cadavre ou même d'un homme à demi-mort. Idem pour le Lévite selon un loi de pureté au livre des Nombres qui le rendrait alors inapte pour ses fonction cultuelles avant sept jours. L'un comme l'autre sont dans le respect strict de la Loi. Ils demeurent dans un cadre purement légaliste. Sont-ils pour autant sans amour de Dieu, sans amour du prochain. Rien en réalité ne permet de l'affirmer avec certitude. Seulement, leur amour reste subordonné à une loi, à une législation idéale, à une réglementation cultuelle qui semble les fermer à la miséricorde. Ils semblent plus aimer leur idéal qu'un homme à secourir.

Ne croyons-pas que cela nous soit totalement étranger. Dans nos sociétés mêmes, nous pouvons respecter scrupuleusement les lois. Mais cela ne signifie pas que nous soyons dans l'amour du prochain et dans l'exercice de la miséricorde et l'annonce de l'évangile.

Au XXe siècle, un régime totalitaire fera des lois pour légaliser l'élimination d'un peuple tout entier, de personnes handicapées, de malades mentaux... Et des membres de ce régime deviendront des criminels en toute bonne conscience parce que respectueux de la législation. Et ces mêmes criminels se montreront bons pères de famille, dévoués pour leur proches, leur pays, bien élevés, respectables... Ainsi, en schématisant, la loi peut justifier des mises à mort au nom du droit qui légalise de telles pratiques.

Or, Jésus dans sa parabole, montre un samaritain, donc hérétique et étranger au regard des juifs, saisi de compassion, qui n'hésite pas à s'approcher de cet homme à moitié mort, à panser ses blessures, à le charger sur sa monture, à le conduire dans une auberge et prendre soin de lui.

Ainsi dépasse-il sa condition de samaritain en conflit avec les juifs. Il ne se pose pas la question de savoir si cet homme est juif ou non, ce qui conditionnerait son action salutaire envers lui. Non.

Mais ce qui est premier pour lui et qui est son impératif, c'est la loi de son cœur saisi de compassion pour cet homme blessé. Sa compassion a force de loi, force d'amour qui dit la liberté d'aimer et de secourir au-delà du permis et du défendu, du pur et de l'impur. À une dynamique de loi enclose dans un cadre légal se substitue un mouvement de salut gratuit et offert à cet homme sans restriction, sans discussion. Et cette irruption de l'amour débordant est bien trop puissant pour être contaminé par quoi que ce soit.

C'est ici, au fond, la compassion de Dieu offert à tous les hommes au-delà de la loi des hommes. C'est la loi de Dieu qui accomplit toute loi par l'offrande d'un amour inconditionnel. L'amour de Dieu est plus pur que toutes les lois rituelles de pureté des hommes.

« Qui est mon prochain ? » Aucune loi autre que celle de l'amour et de la compassion ne peut le dire. Car ce commandement d'aimer et de compatir est un choix intime, une décision de notre liberté face à toute personne. Il nous appartiendra toujours de nous faire proche, de décider d'aimer, de nous faire le prochain d'un autre que nous-mêmes ou pas. C'est là une tâche jamais achevée, un travail toujours en devenir pour accomplir cette mission d'annoncer la gratuité de l'amour sans autre considération. Le Seigneur nous appelle à mettre en œuvre notre capacité de nous faire « samaritain » les uns des autres en dépassant les règles du droit, en allant plus loin que les horizons de notre monde fini et caduque, en osant proposer un salut toujours possible à tous les hommes. Les lois des hommes passent dans un monde qui passe, mais l'amour de Dieu est éternel.

F. Nathanaël