16° Dimanche du TO*C Lc 10, 38-42
Frères et sœurs, une fois n'est pas coutume, si nous surprenions aujourd'hui la Parole de Dieu en «flagrant délit de contradiction» ?
D'un côté, en effet, dans la première lecture, le livre de la Genèse nous présente Abraham comme modèle…ce croyant tout pétri du sens de l'hospitalité de son peuple sémite. Cet homme, qui pour trois visiteurs de passage, se met à courir à leur rencontre, se hâte d'aller trouver Sarah, sa femme, pour lui demander de «vite» cuire des galettes. Puis il se précipite au troupeau pour presser un serviteur de préparer un veau gras et tendre… Le moins que l'on puisse dire c'est que l'on court beaucoup dans cette scène biblique où le père des croyants nous est proposé comme un exemple à suivre.
De l'autre côté, dans l'Evangile, voilà que nous sommes invités à prendre quelques distances critiques devant l'attitude d'une femme, Marthe, qui pourtant, à première vue, ressemble fort à Abraham, une femme qui s'affaire, et à qui Jésus reproche de s'inquiéter et de s'agiter pour bien des choses… tout en lui faisant remarquer qu'elle n'a pas choisi la meilleure part. Ainsi, saint Luc veut-il donc nous inviter à renoncer aux valeurs bibliques d'hospitalité et de service ?
Non, frères et sœurs, cela n'est pas possible ! Et ce, d'autant moins, que l'évangéliste vient juste de nous proposer de contempler un samaritain qui se dépense sans compter pour un blessé rencontré sur la route de Jéricho. Vous vous en souvenez : c'était le passage d'évangile de la liturgie de dimanche dernier !
Aujourd'hui, dans la maison de Béthanie deux sœurs sont donc les hôtes de Jésus. Marie est décrite comme une femme disponible, tournée vers l'autre, vers Jésus, écoutant sa Parole. Et, à l'inverse (Luc aime ces oppositions), Marthe nous est présentée comme une personne accaparée, absorbée, prise par les soucis de la maison, peut-être même prisonnière de ces tâches domestiques ? Elle se laisse prendre par le travail et elle n'est sûrement pas en situation réelle d'écoute. C'est elle qui parle et elle parle d'elle. Finalement Marthe est centrée sur elle-même.
Marie a choisi la meilleure part dans la mesure où, précisément, elle est tournée vers l'autre. Ainsi c'est bien elle, et non Marthe, qui, en profondeur, ressemble au samaritain qui s'arrête et prend soin du blessé sur la route. C'est bien elle, et pas Marthe, qui ressemble à Abraham tourné vers les visiteurs. C'est même toujours Marie qui se retrouve en harmonie avec le message que l'apôtre saint Paul adresse aux habitants de la ville de Colosses, parole que la liturgie de ce jour nous transmet dans la deuxième lecture : «La mission que Dieu m'a confiée, c'est de mener à bien pour vous l'annonce de sa parole». «Pour vous»…et pas pour moi, Paul. «Sa parole»…et pas la mienne, à moi, Paul.
Alors frères et sœurs, flagrant délit de contradiction ? Certainement pas !
Mais bien davantage, flagrant délit d'harmonie de la Parole de Dieu qui nous invite à temps et à contretemps au bonheur des béatitudes en nous apprenant à nous décentrer de nous-mêmes pour, dans un même mouvement, nous tourner vers les autres et vers le Tout Autre.
Avouons-le, en accueillant cette page d'Evangile, notre première réaction est toute empreinte d'une certaine sympathie pour Marthe. Il y a tellement à faire dans notre monde. Et de fait, de prime abord, Marthe a un visage plus immédiatement accessible que celui de Marie ! Elle nous rappelle que l'Evangile n'est pas neutre.
Nous engager de toutes nos forces au service des autres pour plus de justice et de paix n'est pas secondaire ni accessoire. Cela est même une exigence primordiale : la foi qui n'agit pas est morte. Cependant, Jésus n'a-t-il pas raison de nous mettre ainsi en garde de ne pas nous laisser envahir et finalement aveugler par l'agitation et l'inquiétude en oubliant de relier tout ce que nous faisons à l'essentiel : le Royaume de Dieu.
A Marthe, le Christ révèle que le centre de toute démarche est son propre cœur, sa propre vie. A chacun de nous, il souligne que nous sommes appelés à vivre ce cheminement intérieur et à nous mettre en route pour un véritable pèlerinage de la foi. Il nous faut sans cesse aller plus loin que nous-mêmes. Le Seigneur en qui nous croyons, en qui nous espérons et que nous pensons connaître, le Seigneur est celui qui se laisse chercher. Ne reculons donc pas devant l'invitation pressante qu'il nous adresse à l'écouter, à l'accueillir, à le contempler, en un mot, à le prier.
Frères et sœurs, la prière n'est pas réservée à des spécialistes! Elle n'est pas l'apanage des personnes consacrées. Elle n'est pas non plus réduite à «un mécanisme ou à une demande de subvention automatique». Le Seigneur que nous croyons connaître est toujours celui qui nous précède. La prière doit nous élancer à la suite du Christ, lui le véritable Priant, lui qui est toujours tourné vers le Père dans la mouvance de l'Esprit saint et qui demeure notre seul médiateur auprès de lui. «Aujourd'hui ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur…»
Avec tous ceux et celles qui prennent du temps en particulier en cette période estivale, pour s'arrêter dans le tourbillon de leurs activités professionnelles ou autres, pour retrouver un équilibre spirituel, pour faire silence, pour se consacrer davantage à la méditation et à l'action de grâce, avec eux entrons en harmonie avec le Seigneur.
Saisissons toutes les occasions d'une rencontre plus intime avec lui pour progresser dans la découverte de ses désirs, de ses projets, pour pénétrer davantage dans son dessein d'amour pour chacun de nous. Car nous sommes tous uniques aux yeux du Seigneur. Il n'y a pas d'existence banale ou plus exactement c'est dans l'ordinaire du quotidien que le projet de Dieu pour chacun de nous se révèle, que son dessein d'amour se réalise même si nous n'en percevons pas toujours la richesse.
Accueillons la quête de tant de parents qui aspirent à un meilleur équilibre de vie qui fasse droit à la nécessaire rencontre avec leurs enfants, tout jeunes ou adolescents et faisons nôtre leurs aspirations. Réjouissons-nous pour la recherche de nombreux malades, handicapés, personnes âgées qui veulent donner du sens à leur moindre activité. Et nous pourrions multiplier l'évocation de ces situations où des hommes et des femmes découvrent ou redécouvrent cette nécessité vitale de l'écoute de la Parole de Dieu et de la parole de leurs frères et de leurs sœurs. Risquons cette écoute pour mieux orienter notre vie vers l'Autre et vers les autres.
Frères et sœurs, ce matin c'est le Christ lui-même qui nous a invités à nous rassembler. La célébration de l'Eucharistie n'est-elle pas un peu l'image de la maison de Marthe et de Marie à Béthanie ? Accueil du Christ et de sa Parole, fraction et partage du Pain, signes de la présence du Ressuscité.
Cependant s'il nous a convoqués, ce n'est pas seulement pour nous écouter, mais avant tout pour nous donner la joie, sa joie: celle de sa Bonne Nouvelle. Il est donc urgent de ne plus nous affairer et d'entrer résolument dans le temps de sa grâce, le temps de la disponibilité.
Amen.
F. Benoît-Marie