Le Baptême du Seigneur (C) Lc 3, 15-16.21-22

Frères et sœurs, y a-t-il beaucoup de théophanies dans les évangiles, beaucoup de scènes qui donnent à voir ou à entendre Dieu lui-même en direct ?

Non. Je pense qu'il n'y en a que deux, et deux qui ont plusieurs points communs. Au baptême, la voix du ciel dit à Jésus qui est en prière : « Tu es mon Fils bien-aimé ». Et le jour de la Transfiguration, la voix venue de la nuée dit à trois pauvres témoins abassourdis en désignant Jésus : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! »

Voilà, c'est tout, c'est fini.

C'est tout ce que Dieu avait à dire et c'est définitif : « écoutez-le », Lui Jésus ! Les évangiles synoptiques, Marc, Matthieu et Luc, ne nous proposent aucune autre théophanie.

Jean nous propose une autre théophanie. Et elle est magnifiquement consonante. Cela se passe au ch.12 de son évangile.

Jésus est en prière, comme le note aussi Luc, au jour du baptême comme au jour de la Transfiguration. Ce que Jésus dit dans sa prière nous est rapporté, c'est : « Père, glorifie ton Nom ! » (le récit continue) « Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l'entendant, la foule qui se tenait là disait que c'était un coup de tonnerre. D'autres disaient : « C'est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n'est pas pour moi qu'il y a eu cette voix, mais POUR VOUS. » (Jn 12, 28-30)

Le message est identique : c'est POUR VOUS que la voix a dit : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. » C'est POUR VOUS que la voix a dit : « celui-ci est mon Fils. » Pour que vous l'écoutiez…

Tout l'inouï de l'Évangile tient dans ce renversement inimaginable : Dieu ne se manifeste que pour donner témoignage à cet homme-là, cet homme-là qui est son Fils et qui l'appelle « Père », qui nous révèle son nom de Père, qui nous apprend à le prier en glorifiant son Nom de Père.

Remarquons encore que ce témoignage de Dieu, du ciel, lors du baptême et de la Transfiguration, vient en appui d'un autre témoignage : celui des Écritures à la Transfiguration, Moïse et Élie, la Loi et les Prophètes, et au baptême, celui d'un homme, Jean le Baptiste, dont les quatre évangiles nous parlent avec insistance.

Aucun évangile ne fait l'impasse sur ce personnage qui aurait pu faire de l'ombre à Jésus, qui aurait pu apparaître comme son rival. Chaque fois que les adversaires de Jésus mettront en doute le témoignage qu'il reçoit de son Père, aussi bien chez les Synoptiques que chez saint Jean, Jésus recourra au témoignage du Baptiste, un simple témoignage humain, mais d'un homme remarquable, vénéré de la foule : 'vous ne voulez pas croire au témoignage de mon Père, alors, dites-moi, croyez-vous au témoignage de Jean le Baptiste ?'

Dans ce sens, il est frappant que Luc rapporte le martyre de Jean Baptiste avant même de raconter le baptême de Jésus (notre évangile de ce jour a fait une petite coupure de cinq versets où figure justement la mention de sa mise à mort par Hérode).

Cette dimension tout humaine du témoignage rendu à Jésus par Jean avant la croix, qui n'a rien à voir avec le témoignage apostolique, a donc été extrêmement déterminante. Elle fut si déterminante que le baptême, un signe qui venait de Jean, est devenu très tôt un signe identitaire pour les chrétiens. Mais un baptême associé à une parole nouvelle : « Au nom du Père et du Fils et de l'Esprit Saint ». Le geste commun venu du judaïsme et même d'au-delà a été marqué de cette parole propre aux chrétiens : « Au nom du Père et du Fils et de l'Esprit Saint. »

Cette formule, celle qui accompagne le signe de croix, celle qui ouvre toutes nos célébrations, est le condensé le plus fort du message chrétien.

J'aimerais, pour terminer, la faire résonner avec la théophanie johannique du ch.12 dont j'ai parlé.

Si l'on prête bien attention au texte de Jean, on remarque que la voix du ciel dit, très littéralement : « J'ai glorifié et je glorifierai encore », sans complément, sans pronom exprimé ! Alors cela peut désigner tout aussi bien la personne de « Jésus » que « le nom du Père », en réponse à sa prière : « Père, glorifie ton Nom ».

Et en fait, c'est tout un : glorifier le Fils, c'est glorifier le nom du Père ; glorifier le nom du Père, c'est glorifier le Fils : « glorifie ton Fils pour que ton Fils te glorifie ». La « gloire », dans l'évangile de Jean, n'est autre que l'Esprit Saint, le don du Père au Fils, le don du Fils au Père, le don mutuel du Père et du Fils. Et ce don, Jésus nous l'a transmis : « Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée. » (Jn 17, 22)

Que l'Esprit Saint nous donne d'entrer chaque jour davantage dans la profondeur de notre baptême, qui est la vie trinitaire.

frère David