2° Dimanche du TO*C Jn 2, 1-11

Frères et sœurs, nous voici de nouveau en temps ordinaire, avec un récit assez extraordinaire qui nous raconte le signe de l'eau changée en vin, premier signe du ministère de Jésus qui a lieu au cours d'un mariage. Qui ne rêverait de pouvoir accomplir ce miracle, et en plus en très grande quantité ? Ce qui est insipide, de l'eau, devient une boisson forte et enivrante, du vin qui fait tourner la tête, qui réjouit le cœur de l'homme. Et en plus, ce vin est très bon, ce qui n'est pas toujours le cas, nous le savons ! C'est un vin de fête, qu'on réserve pour les mariages. Et il est d'autant plus bon que les vins précédents le sont moins...

Tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant. Le Seigneur donne de bonnes choses. A partir de nos manques, de notre eau insipide, Dieu donne du goût à nos existences. Le prophète Néhémie, au peuple d'Israël qui se désole, dit ceci : Ce jour-ci est consacré au Seigneur votre Dieu. Ne soyez pas dans le deuil, et ne pleurez pas ! (…) Allez, mangez de bons plats, buvez d'excellentes boissons, et faites porter des portions à celui qui n'a rien pu préparer, car ce jour-ci est consacré à notre Seigneur. Ne soyez pas dans la peine, car la joie du Seigneur, voilà notre force ! (Ne 8,9-10).

Le prophète Isaïe, dans la première lecture, compare le peuple d'Israël à une femme que le Seigneur prend pour épouse. Jérusalem, Sion qui était « délaissée », souffrant d'un manque d'amour, se retrouve la « préférée » de Dieu, épousée par lui. Le peuple élu est comme une jeune femme vierge qui fait la joie de son mari. Voilà une autre bonne chose que le Seigneur fait pour nous, son peuple, quand nous sommes délaissés, abandonnés, et qu'il nous entoure de sa tendresse. Nous avons tous soif d'être aimés. Dieu, lui, met de la joie là où il y du manque et de la pauvreté. Dans l'épître aux Corinthiens, saint Paul nous parle, quant à lui, des dons multiples de l'Esprit, de tout ce que Dieu nous permet de faire quand nous sommes en relation avec lui. Il donne la sagesse, la connaissance, la foi, la guérison, il fait des miracles, et c'est lui aussi qui inspire de parler en langues. Celui qui agit en tout cela, en vue du bien, c'est l'unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier. Dans l'évangile, nous avons vu que Dieu accomplit ce signe de l'eau changée en vin. Et il le fait en abondance. C'est « jusqu'au bord » que les serviteurs remplissent d'eau les six jarres de pierre. Ces jarres, prévues pour les purifications rituelles, le texte nous dit qu'elles pouvaient contenir chacune cent litres d'eau. Vous imaginez : 600 litres de très bon vin ! Dieu ne se contente pas de la qualité, mais il fait aussi dans la quantité, dans la surabondance. Il remplit nos outres à ras bord, met dans le pan de notre manteau une mesure bien tassée, débordante (cf. Lc 6,38).

Reste une question : comment pouvons-nous permettre à Dieu la possibilité de nous donner autant ? Précisément, au cœur du manque et de la soif de nos vies. Comme des jarres de pierre, nous sommes destinés à accueillir en nous la grâce de Dieu qui ne cherche qu'à se donner. Il s'agit donc de consentir à ce que Jésus nous déroute, comme il le fait avec sa mère en lui disant : « Femme, que me veux-tu ? ». Littéralement : « Qu'est-ce qu'il y a entre toi et moi ? ». Par cette réponse qui peut surprendre mais qui n'a en réalité rien d'offensant, Jésus veut faire comprendre à sa mère qu'un changement est en train de s'opérer. La relation qui l'unissait à elle est en train de se transformer, comme l'eau changée en vin. Marie - qui ne demande d'ailleurs pas à Jésus de faire un signe, mais ne fait que constater qu'il n'y a plus de vin – voit que le cours ordinaire des choses n'est plus le même. Une nouvelle direction est prise. Y a-t-il une rupture ? À partir de ce moment, l'influence de Marie ne s'exercera plus sur Jésus, mais au service de Jésus : Faites tout ce qu'il vous dira. La mère de Jésus devient « femme », comme le peuple d'Israël qui est comparé à une épouse, et elle sera appelée de la même manière au pied de la croix. « Femme, voici ton fils ». Dans les deux passages, qui forment une inclusion au début et à la fin de l'évangile, la relation de la Mère et du Fils est soumise à une exigence de transformation dont Jésus prend l'initiative. Au Calvaire, Marie doit consentir à une rupture, à un détachement encore plus grand que celui de Cana. Ce détachement est pourtant la condition même du don. En tant que disciples confiés par Jésus à Marie, notre mère, nous sommes invités à laisser opérer en nous ce changement de nature de l'eau en vin. L'accueil par l'homme du vide de sa propre soif permet à Dieu de donner toute sa mesure dans la démesure, dans l'abondance. Au commencement, Dieu vit cela était bon, « très bon » même, quand l'homme apparaît. Le Seigneur crée toujours à partir du chaos, du vide. A partir de nos manques, de nos pauvretés, de nos abandons, il fait toute choses nouvelles et bonnes. Laissons-le remplir nos cœurs de sa bonté infinie. Offrons-lui nos vies telles qu'elles sont. Amen.

F. Columba