Ascension du Seigneur (C) Lc 24, 46-53

Frères et sœurs, il est toujours difficile de quitter un proche, de devoir se séparer de ceux qu'on aime. La première lecture, tirée des Actes des apôtres, nous montre les disciples qui regardent Jésus partir vers le ciel. Et ils sont un peu « scotchés », comme on dit familièrement ! C'est pourquoi les deux hommes en vêtements blancs essaient de les faire sortir de leur état de sidération, en les provoquant : Pourquoi restez-vous là, à regarder le ciel ? Nous avons tous à vivre un jour ou l'autre la séparation avec nos proches. Ce « travail de deuil » nous rappelle que nous devrons aussi faire face à la séparation ultime de la mort. Pourtant, le Christ ne meurt pas. Il est ressuscité ! Alors, on pourrait se demander : pourquoi Jésus n'est-il pas resté sur la terre ? Il aurait pu vivre éternellement dans ce monde, visible au milieu de nous… Pourquoi faut-il qu'il parte, qu'il nous laisse seuls ?

Le temps entre l'Ascension et la Pentecôte est celui de l'absence, qui rappelle le tombeau vide. Jésus est parti, et son Esprit - qu'il a promis d'envoyer aux disciples - n'est pas encore présent. Si le Christ se retire, qu'il nous enlève un moment son soutien, sa proximité, c'est peut-être pour purifier notre sensibilité, notre attachement désordonné. Oui, nous sommes souvent dans un trop plein d'émotionnel, de ressenti, et nous nous rendons compte que notre foi est assez fragile. Si je ne sens rien dans la prière, alors j'en conclus que Dieu est absent. Pourtant, c'est simplement parce que Dieu essaie, comme un père avec son enfant, de me faire marcher tout seul. Et pour cela, il doit me lâcher la main.

Les nouveaux convertis, ou les novices au monastère, ressentent beaucoup de choses, comme une ébullition d'émotions. Ils ont la grâce des débuts, la flamme de la jeunesse qui leur fait parler de Dieu comme s'ils l'avaient toujours connu. Certains ont même des visions, des locutions. Ils sont prophètes, en quelque sorte. C'est un feu d'artifice que Dieu met dans leur cœur, pour leur faire éprouver sa fidélité, son amour. Et bien sûr, ils s'y attachent et goûtent ces instants avec bonheur. Mais voilà, le nuage rose ne dure pas. C'est comme pour l'amour entre deux personnes. Après la lune de miel, arrive vite l'aridité, la monotonie. Le risque est alors de passer à autre chose, de tourner la page. Pourtant, il nous faut nourrir cette relation avec Dieu d'une autre manière, en gardant la foi, au-delà du visible et du sensible.

Si le Christ monte au ciel, c'est parce que le ciel est le lieu où Dieu réside. Il nous apprend ainsi le détachement des choses de la terre, pour nous aider à nous attacher aux réalités d'en haut. Quand il va passer la nuit en prière sur la montagne, et que tout le monde le cherche, Jésus est déjà dans cette attitude. Il se retire de nous, pour se tourner vers la Source qui est son Père. Ainsi, il cherche à nous faire grandir, à élever notre regard vers l'Origine et le Principe de tout. C'est la même chose quand il dit à Marie-Madeleine : Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Si Jésus est venu sur la terre, c'est pour nous entrainer avec lui jusqu'au ciel. Sa vocation n'est pas de demeurer ici-bas avec nous, mais de nous montrer le chemin où nous devrons aller un jour, nous aussi.

Dans l'évangile de Luc, il nous est rapporté le fait que les disciples, après s'être prosternés devant Jésus qui était emporté au ciel, retournent à Jérusalem, « en grande joie », bénissant Dieu dans le Temple. C'est là un tout autre tableau que celui qui nous est présenté par les Actes des apôtres, où le regard des disciples semblait rester figé. La mention du Temple, que l'on retrouve au début et à la fin de l'évangile de Luc, comme une inclusion, est très importante. Evidemment, on pense aux « psaumes des montées » que les pèlerins chantaient en montant à Jérusalem, afin d'y offrir des sacrifices. Maintenant, c'est un sacrifice de louange que les disciples offrent, car ils savent que le véritable Temple n'est pas fait de main d'homme, mais que c'est une personne, le Christ, leur Maître, qui est « entré dans le ciel même », comme dit l'épître aux Hébreux. Les disciples réalisent que le sacrifice de Jésus surpasse tous ceux qui l'ont précédé, et qu'ils peuvent, grâce à son sang, accéder au véritable sanctuaire, dont la chair est comme le rideau de celui-ci, séparant le « Saint » du « Saint des saints ». C'est par cette chair, précisément, que nous pouvons accéder au ciel, « dans la plénitude de la foi, le cœur purifié de ce qui souille notre conscience ». Rappelons-nous ce que nous disions tout à l'heure : Jésus purifie notre sensibilité, il nous fait regarder plus haut, plus loin. C'est par lui que nous sommes lavés, par son sang que nous sommes purifiés de nos attachements à la terre, lorsque celle-ci se retrouve coupée du ciel.

Le Christ est notre espérance. Il est la Tête qui est déjà au ciel. L'ensemble du Corps est appelé à le suivre dans cette montée. Nous sommes promis à l'éternité. Il nous faut donc regarder la terre de cette manière, comme déjà sauvée et transfigurée. Cela demande une purification du regard, pour considérer le matériel dans toute sa puissance de fécondité et d'avenir. Demandons cette grâce à Dieu aujourd'hui, au moment où il se donne à nous en son Corps et son Sang, accomplissant ainsi le sacrifice de l'amour parfait. Amen.

Fr. Columba