7° Dimanche du TO*C Lc 6, 27-38

Aimer l'ennemi... à celui qui te frappe sur une joue, présente l'autre... Mais, ce n'est pas ce que Jésus a fait lorsque le serviteur du grand-prêtre le frappa. Jésus ne présenta pas l'autre joue, mais sans répondre à la violence par la violence, il sut le mettre en face de son geste en vérité en lui répondant : Si j'ai mal parlé, qu'est-ce que j'ai dit de mal. Jésus l'a mis ainsi en face de ses responsabilités, de son geste pour l'ouvrir peut-être, l'évangile ne le dit pas, à une autre dimension, une autre réalité, un autre chemin. C'est peut-être aussi cela que présenter l'autre joue. Refuser de se laisser détruire par l'ennemi mais souhaiter sa conversion en posant même un geste, une parole en ce sens. Refuser de se laisser détruire et de détruire l'autre en se plaçant sur un terrain différent. Oui, en refusant absolument de laisser détruire la vie que l'ennemi lui-même a reçue, et dont il n'a peut-être pas conscience, j'ouvre ou laisse ouvrir une dimension autre, comme si, face à l'ennemi, il fallait s'inviter à la vie et l'inviter lui-même à la vie. Le passage de la première lettre aux Corinthiens peut nous éclairer sur ce point lorsqu'il est écrit que le premier Adam a reçu la vie et que le dernier, le Christ, la donne. Recevoir la vie, donner la vie, donner de la vie, voilà un mouvement qui permettrait de mieux saisir cette délicate page d'évangile concernant les ennemis qui eux aussi ont reçu la vie et sur lesquels brille le même soleil. Entre Adam qui a reçu la vie et Jésus qui la donne, il y a tout un espace où nous avons à nous situer. Une direction est donnée en vue, non pas de mépriser la terre pour le ciel, mais d'être en chemin vers le Royaume en acceptant notre humaine condition, notre incarnation (qui est la même pour nous et l'ennemi dont nous pouvons aussi être l'ennemi, justifié ou non), en acceptant nos ennemis extérieurs qui partagent la même nature humaine et qui sont peut-être peu nombreux dans nos existences, en acceptant aussi nos ennemis intérieurs et autres défauts qui nous humilient et nous font si bien souffrir.

Oui, entre Adam qui reçoit la vie et Christ qui la donne, nous avons à nous situer en vérité, en acceptant que cette vie nous soit donnée telle qu'elle est et dont nous pouvons toujours en partager quelque chose avec l'autre. Entre Adam et le Christ, j'ai à m'inscrire dans ce mouvement, dans cette direction, cette Thora de vie où je dois aussi désirer la vie pour l'autre, fut-il ennemi, qui a finalement le même Père que moi.  Jésus dit aussi, dans notre évangile, qu'il faut prêter sans retour, sans reconnaissance. Voilà qui n'est pas évident et pourtant la vie passerait aussi par un tel chemin. C'est bien ce que Dieu ne cesse d'ailleurs de faire : nous donner la vie sans vraiment de reconnaissance de notre part. Voilà certainement une belle invitation à se mettre en route, non pas dans la négation de soi, dans la négation de la vie reçue, mais à avancer dans la vie, vers la Vie, entre Adam et le Christ, entre une vie reçue et une vie donnée, entre un don reçu puis donné à nouveau. Ce n'est alors plus un prêt, c'est un don ! Voilà encore une autre invitation à se convertir, à un incessant travail de désencombrement de ce qui ne peut que m'empêcher si bien de recevoir la vie (le péché) et de la donner, d'en donner quelque chose. Alors, quelle folie à vouloir la mort de l'ennemi mais aussi à nous laisser détruire par lui. Car c'est bien une loi de vie élémentaire que de vouloir vivre et que l'autre vive d'une vie donnée gratuitement. Quelle folie aussi à se croire à l'origine de sa vie, à garder pour soi le peu de vie que l'on a, à ne pas donner, à ne pas pardonner, à se rendre prisonnier de la mesure étroite de son propre jugement ? Ne serait-ce pas s'interdire de vivre en interdisant à l'autre de vivre, en lui fermant ainsi les portes du Royaume ? Voilà donc qu'aujourd'hui, l'Évangile ne nous demande peut-être pas de nous transformer en héros de l'abnégation mais de nous ouvrir à ce don de la vie en nous et dans l'autre, fut-il notre ennemi, et pour cela à laisser dilater notre cœur comme le recommande saint Benoît dans sa Règle des moines. Trivialement, j'oserai dire que nous aurions à ouvrir en nos vies une vanne, un robinet, pour qu'y coule une eau qui ne peut venir que d'ailleurs et qui va ailleurs. La façon, la mesure dont nous l'aurons ouvert sera celle dont il sera ouvert pour nous, dont nous l'aurons ouvert pour nous-mêmes, mince filet d'eau ou eaux foisonnantes de vie.                                             

Frère Philippe-Joseph