4° Dimanche du TO*C Lc 4, 21-30

Frères et sœurs, nous n'aurons jamais fini de contempler l'humanité du Christ. Or les Évangiles sont muets sur une longue période de la vie de Jésus : les 30 ans – et même un peu plus – de Sa vie cachée à Nazareth.
Pour entrer dans le mystère du Christ, il n'est pas utile de savoir comment se sont passées ces années. Le Pape François appelle cela de la curiosité.
Par contre, lorsque ce temps est au cœur d'un passage d'Évangile comme celui d'aujourd'hui, nous pouvons considérer le poids d'incarnation du Christ sur notre terre et le méditer dans le secret de notre prière ; ce qui est tout autre chose que de chercher à savoir ce qui s'est passé.

Dans la synagogue de Nazareth, Jésus lit un passage du livre d'Isaïe et le commente par une phrase prophétique. Tous lui rendent témoignage et ils s'étonnent. Ils se disent : N'est-ce pas là le fils de Joseph ? 
Nazareth était une bourgade d'environ 50 lieux d'habitation. Mgr Rouet nous disait un jour : il faut imaginer Nazareth comme un petit village, tous se connaissent et il y a beaucoup de petits enfants prénommés « Jésus » qui jouent ensemble !

Ses habitants s'étonnent du différentiel qui existe entre cet homme qu'on a vu grandir, "bien de chez nous" comme on dirait, et la parole prophétique qu'il prononce. Jésus devait être bien ordinaire durant ces 30 ans … ni hyper-pieux, ni surnaturel, ni prophète avant l'heure !
Donc Jésus n'a pas fait semblant d'être un homme de notre terre. Comme l'écrivait Syméon le Nouveau Théologien : il « s'est montré totalement homme, en n'offrant aux regards rien de plus que les autres hommes. [Mais] il a mangé, bu, dormi, transpiré et s'est fatigué … ».
Ce qui revient à dire que Jésus n'était pas un petit enfant merveilleux, auréolé de lumière, qui ressuscitait les oiseaux morts parce que cela lui faisait de la peine. Quand il tombait, il avait mal et il avait un bleu après !
Ne sourions pas trop vite ; au début de ma vie monastique, j'ai entendu un jeune Abbé – devenu par la suite un Abbé important dans sa Congrégation – dire que Jésus étant Fils de Dieu ne pouvait pas être malade et n'avait jamais eu la grippe ! Il a fait ensuite machine arrière, après avoir dialogué un peu âprement avec des frères.

Il nous faut donc prendre au sérieux ce qu'écrivait saint Paul aux Philippiens : le Christ est devenu semblable aux hommes et a été reconnu à son aspect comme un homme.
Et nous rappeler cet abîme qui existe entre Celui par qui tout a été fait – comme nous le fait dire le Credo de Nicée-Constantinople – et cet homme devenu semblable aux hommes et reconnu à son aspect comme un homme. Eh bien, cet abîme est assumé par le Christ et c'est un prodige.
Dès lors, nous comprenons mieux le lien qui existe entre ce que nous venons de méditer et ce passage de Saint Matthieu : ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. Appelons cela une Incarnation de surcroît.

Frères et sœurs, reprenons, goûtons, méditons longuement le Prologue de l'Évangile selon Saint Jean :
Le Verbe auprès de Dieu. Le Verbe qui est Dieu. En Lui est la vie.
Par lui tout est venu à l'existence et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui.
le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous. Il est venu chez Lui.
Et allons jusqu'au bout de cette logique, qui est un prodigieux retournement :
le Verbe de Dieu fait homme nous donne de devenir enfants de Dieu, de devenir nous-mêmes fils de Dieu ; dès lors, nous sommes nés de Dieu.

Continuons avec Mgr Rouet, pour bien entrer dans le Prologue de l'Évangile de Jean : pour les habitants de Nazareth, la distance est trop forte, inconcevable, entre tout cela et celui qu'ils ont connu ; leur connaissance de Jésus les empêche d'entrer dans Son mystère.

Et nous ? poursuivait Mgr Rouet en citant la définition du Catéchisme de naguère : « Dieu est un pur esprit, infiniment parfait, éternel, Créateur et Souverain Maître de toutes choses ». Ne nous étonnons pas, disait-il, que cette définition ait créé des athées de ce Dieu là : un Dieu dont on fait le tour conceptuellement. Surtout que la suite énonce : « Dieu est un pur esprit parce qu'il n'est pas destiné à être uni à un corps ». Ah oui ? C'est peut-être avec des idées semblables que les habitants de Nazareth ont refusé le message de Jésus …

Méditons alors ces lignes du Père Serge de Beaurecueil, dominicain, qui a vécu tant d'années à Kaboul – et qui sait ce qu'il en est de la vie cachée – :
Verbe de Dieu, on vous voit dans nos rues, tel l'un de nous, et rien de plus. Vous travaillez, vous fécondez notre terre. Nos gestes sont devenus les vôtres : manger, dormir, peiner et sourire. Nos gestes d'hommes, même les plus banals, sont devenus divins. Il nous suffit de les faire pour faire ceux du Verbe. Et le Père retrouve dans les gestes des hommes ceux de son Verbe incarné.

f. Jean-Jacques