5° Dimanche du TO*C Lc 5, 1-11

La foule se presse autour de Jésus pour écouter sa parole. Jésus s'écarte du rivage des hommes pour enseigner. Sa parole ne vient pas des hommes, mais d'un horizon divin. Elle ne peut venir que d'un ailleurs pour faire entendre ce que nulle oreille d'homme n'a jamais entendu et montrer ce que nul œil n'a jamais vu.

Le Seigneur lance sa parole. Comme un filet, il n'est de hauteur qu'elle ne puisse atteindre, de profondeur qu'elle ne puisse pénétrer, d'épaisseur qu'elle ne puisse traverser. Elle est ce filet vivant qui touche un cœur là, capte une intelligence plus loin, captive un esprit par ici. Elle est présente dans toutes les franges des générations humaines depuis qu'elle a retenti. Elle se mêle aux remous des hommes, à leurs jeux, à leurs joies, à leurs drames, à leurs réconciliations. C'est que cette parole-filet fait maille avec la parole des hommes. Elle se mêle aux mots des hommes pour leur faire entendre les mots de Dieu, les mots de la Bonne Nouvelle.

Ainsi, lorsqu'une parole humaine inspirée de l'Esprit de Dieu, nourrie de l'évangile touche un cœur, éclaire une âme pour lui dire la bonté d'un Dieu qui aime, la beauté d'un Dieu qui embellit, la vérité d'un Dieu qui libère, c'est le filet de la parole divine qui se déploie.

Alors, l'ordinaire le plus banal lui-même prend une saveur inaccoutumée, un relief plus sensible. Une musique secrète se met à jouer dans la chambre du cœur. C'est la voix du bien-aimé qui murmure dans le repli d'un fin silence. Et la présence nouvelle du Seigneur se dessine en esquisses fugaces et discrètes, en petites touches légères et aimables à l'aune des gestes tendres, des attentions renouvelées, des écoutes patientes, à la clarté du petit mot fraternel, des inspirations évangéliques, des rencontres amicales ou amoureuses.

 Et aussi, des femmes et des hommes pris par le filet de cette parole quittent certains rivages connus, rompent certaines amarres, partent au loin vers le large. Portés par la parole du Seigneur, ils ressentent une force nouvelle qui les pousse vers des horizons nouveaux, une présence intime qui leur parle et les appelle. « Me voici : envoie-moi » répondent-ils. Et comme Paul, ils annoncent les merveilles de Dieu.

Et comme le psalmiste, ils chantent : « Je rends grâce à ton nom pour ton amour et ta vérité, car tu élèves, au-dessus de tout, ton nom et ta parole. Le jour où tu répondis à mon appel, tu fis grandir en moi ta force. »

Et le filet de la parole animé de l'Esprit s'agrandit, s'élargit. La communion avance, préparant le monde à la communion éternelle, celle d'une vie avec Dieu affranchie de la mort, de la peur, de l'angoisse, celle d'une vie délivrée de la corruption, du mensonge, des luttes fratricides.

Cette parole du Seigneur, c'est le filet salvateur, celui qui repêche tous les recalés, tous les déclassés. Perdus et brisés au milieu du monde, le crucifié-ressuscité devient leur précieux filet. C'est le filet qui s'offre à réparer tous les fracassés de l'existence et qu'il n'est pas de vie humaine incapable d'être prise dans ses mailles évangéliques.

Sans le filet de sa parole, il fait nuit. Sans le filet de sa parole, nous peinons sans rien prendre comme Simon-Pierre et ses associés Jacques et Jean. Le Seigneur ouvre la bouche et la grâce déborde à la vue des pécheurs galiléens ; signe d'une présence plus forte que toutes les contingences et limites du monde. Leurs filets risquent de déchirer. Les barques se remplissent au point d'enfoncer.

Frères et sœurs, la parole du Seigneur est bien ce filet qui plonge dans les eaux troubles, se meut dans les flots obscurs pour y tracer un flux de lumière, un courant contraire aux courants des océans d'un monde en prise à la démesure, aux vanités, aux supercheries. Le mouvement de son filet donne de l'espérance à qui n'a plus d'espoir, donne la foi à qui ne croit plus aux fausses promesses des hommes. Il crée son propre courant divin, limpide capable de donner sens à une humanité ballotée, balayée, déboussolée par tous les vents hostiles de son histoire pour la conduire par sa liberté aux rivages de sa nouvelle création, capable de lui offrir sa lumière originelle, l'abreuver à la source divine de sa grâce.

Frères et sœurs, soyons pour le Seigneur une maille de son filet. À la mesure de ce que nous sommes, jetons-nous aussi le filet de sa parole avec force et courage dans l'adversité, avec humilité et douceur dans les épreuves, avec persévérance dans les affres du temps et de son indifférence apparente. Que le Seigneur soit notre seule parole d'homme pour dire Dieu avec nous. Amen. 

Fr. Nathanaël