4° Dimanche de l'Avent (A) Mt 1, 18-24

Frères et sœurs, quand on fait un puzzle un peu compliqué (comme p.ex. 1000 pièces de Dom Robert) ou sans avoir l'image de support, on peut avoir parfois l'impression que certaines pièces proviennent d'un autre puzzle. On ne sait pas où les mettre. À première vue, elles ne collent nulle part. C'est au fur à mesure d'avancer dans la construction que leur place apparaît.

Pour Joseph, la grossesse de Marie arrive dans sa vie un peu comme une pièce d'un autre puzzle. Dans le sien, pas compliqué, il a un projet de se marier avec Marie et de fonder une famille. La nouvelle pièce change tout. Joseph doit revisiter ses aspirations, ses désirs, modifier ses plans, sa vie. Sa vie affective est à réviser. Il passe par un temps de questionnement, de doutes, par une crise affective (et probablement aussi dans sa vie sexuelle liée à l'affectivité), par une crise de confiance aussi et par une crise de la foi.  

C'est au sein de cette crise aux multiples volets que, peu à peu, une transformation intérieure s'opère en lui. Elle s'opère grâce à l'écoute de la Parole de Dieu qui lui est donnée. En effet, dans son sommeil, Joseph reçoit une visite d'un ange, d'un messager de Dieu. C'est le moment où il est le plus vulnérable, sans puissance, comme un enfant endormi. C'est peut-être le seul moment où Joseph est capable d'entendre Dieu, en dehors du bruit de ses pensées, de ses émotions. L'ange lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l'enfant qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint ». Une parole rassurante, encourageante, une parole qui décentre Joseph de lui-même pour le centrer sur une mission, une vocation, sur la personne de Marie et de Jésus. Elle élargit son cœur.

 Dans son intervention, l'ange appelle Joseph « fils de David ». C'est un titre messianique. C'est comme s'il disait : « Joseph, Messie ». En quoi Joseph est-il un Messie, un sauveur ? On pourrait dire qu'il est Messie du Messie, qu'il est celui qui est appelé à protéger Jésus, Messie, Emmanuel, « le Seigneur qui sauve ». C'est étrange : un homme appelé à protéger Dieu, à aider Dieu, ce Dieu encore plus vulnérable, plus fragile que lui.

Joseph décide finalement de prendre chez lui Marie et Jésus. Il décide d'aider Dieu, c'est-à-dire de s'engager pour lui, agir pour lui, en tant que père. C'est une décision fondatrice qu'il sera amené à reprendre durant toute sa vie. C'est comme quand on s'engage dans la vie monastique par une profession solennelle (comme fr. Guillaume et fr. Augustin hier) : nous disons « oui » à Dieu, nous nous engageons pour lui, en remettant en même temps notre vie entre ses mains, mais cet engagement, cette confiance en Dieu, nous sommes amenés à les répéter durant toute notre vie, car des doutes, des tentations de toute sorte apparaissent parfois des années plus tard. Et je pense que dans une vie de couple, c'est la même chose.

Nous pouvons dire que la foi de Joseph en Dieu, n'est pas pour lui une échappatoire pour fuir la dure réalité de sa situation, pour se refugier dans une illusion, dans un cocon protecteur entre lui et Dieu. Au contraire, sa foi l'amène à la réalité, à la responsabilité. Elle lui donne l'intelligence et la force. Dans un de ses poèmes, S. Éphrem (IV°s.) met dans la bouche de Joseph les paroles suivantes :

« Comment m'est-il donné,
toi le Fils du Très-Haut,
que tu deviennes mon fils ?
Je m'irritais contre ta mère,
et je pensais la renvoyer :
je ne savais pas
que dans son sein
se trouvait un grand trésor,
qui dans ma pauvreté
soudain me rendrait riche
!
« Le roi David,
qui a surgi parmi mes ancêtres,
a ceint la couronne.
Qu'il est grand le dénuement
où moi, je suis parvenu :
au lieu d'être roi
je suis charpentier.
Mais une couronne m'est échue
puisque voici dans mes bras
le Seigneur de toutes les couronnes. »[1]

Frères et sœurs, dans le puzzle de notre vie aussi, il y a des pièces qui arrivent comme de nulle part. Il y a des tournants, des moments qui nous font basculer dans une réalité nouvelle, pas du tout prévue, attendue, avec beaucoup de questions et de doutes. Malgré une peur, une souffrance initiale qu'un tel basculement peut provoquer, souvent il s'avère une bénédiction, et nous y trouvons un trésor pour nous.

Aujourd'hui, rendons grâce au Seigneur pour toutes ces pièces de puzzles qui nous surprennent, qui renversent nos perspectives, en dévoilant la nouveauté de Dieu dans nos vies, ce Dieu qui rend notre existence plus belle, plus savoureuse, plus libre, plus responsable.

fr. Maximilien

[1] 5e Hymne pour la Nativité, §16s ; SC 459 (Éphrem de Nisibe [le Syrien], Hymnes sur la Nativité, trad. Fr. François Cassingena-Trévedy, Éd. du Cerf, 2001, p. 123.