3° Dimanche de Carême (C) Lc 13, 1-9

Le dimanche 20 mars 2022 : journée de prière pour les victimes d'abus dans l'Église.

Frères et sœurs, nous connaissons probablement tous le conte de Hans Christian Andersen, « Les habits neufs de l'empereur ». Dans ce récit, nous rencontrons un souverain vaniteux qui a un penchant pour les vêtements chics et coûteux. Le budget de son royaume est consacré principalement à l'achat de vêtements de luxe pour l'empereur, qui défile devant ses sujets et attend leur admiration. Un jour, l'empereur engage de mystérieux tisserands et tailleurs, qui promettent des robes exceptionnelles, des robes qui, d'une part, seront d'une beauté unique, de l'autre, elles ne seront visibles qu'aux personnes intelligentes et compétentes (invisibles donc pour des imbéciles et ceux qui ne sont pas aptes à exercer leurs fonctions). Pendant la préparation des robes mystérieuses, les observateurs désignés par l'empereur sont terrifiés, car ils ne voient rien. Cependant, ils simulent l'admiration devant la beauté supposée des tissus des nouveaux vêtements de l'empereur, de peur que leur manque d'intelligence ne soit découvert et qu'ils ne perdent leur poste. L'empereur, qui ne peut pas non plus voir les robes mystérieuses, cache ce fait, ayant des inquiétudes quant à sa position dans le royaume. Le jour de la présentation publique, tous les sujets font l'éloge du vêtement invisible. Ils sont feints, faux, par peur de révéler leur stupidité ou leur incompétence. D'un coup, dans la foule, un petit garçon s'crie : « Le roi est nu ! ». Finalement, tout le peuple lui donne raison, mais le roi, tout en sachant que le garçon a raison, continue de marcher, comme si rien n'était.

Comme ce petit garçon dans notre fable, les victimes des abus sexuels, spirituels, psychologiques, dans l'Église ont eu du courage, malgré des pressions extérieures et des combats intérieurs, de dire la vérité : « Le roi est nu ; l'Église est nue ; son apparence est trompeuse ». Comme ces tisserands malhonnêtes, tant de prêtres, souvent se délectant allégrement de leur pouvoir clérical, ont pu pervertir l'évangile, sans que cela pose le moindre problème à leur conscience. Leurs victimes ont vu, malgré elles, ce qui s'est caché derrière des apparences, derrière des dissimulations, des faux-semblants qui, malheureusement, ne sont pas encore complètement finis.

Frères et sœurs, la plupart d'entre nous ont été choqué, consternés par ce que la Commission Indépendante sur les abus sexuels dans l'Église nous a révélée il y a quelques mois. Face à l'ampleur de la mort semée au sein de l'Église, tant de vies brisées, d'enfances volées, d'intimités violées, nous avons pris douloureusement conscience de notre naïveté, de nos aveuglements, de notre complaisance parfois avec le cléricalisme, de notre légèreté face à la souffrance des victimes. Nous avons réalisé que nous avons été trompés, que nous n'avions pas vu (ou nous n'avions pas voulu voir) la vérité. L'effroi, la colère, la culpabilité, l'amertume et la tristesse peuvent se mêler en nous avec des doutes dans notre foi, avec une révolte intérieure contre Dieu, contre l'Église et ses responsables, contre les agresseurs, voire même parfois contre les victimes.       

Mais peut-être que cette humiliante mise à nu de l'Église est aussi, après coup, une opportunité pour nous, un réveil, une invitation à une vie authentiquement chrétienne, en vérité, une invitation à la conversion, à la sortie de la mort pour vivre. C'est ce que Jésus semble préconiser à ses auditeurs troublés par la mort des Galiléens « que Pilate avait fait massacrer » et « ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé ». Face à ces malheurs, Jésus les invite à s'interroger sur leur propre vie, il les invite à changer leurs vies.

Pour nous, le choc des révélations de la CIASE nous a déjà introduit dans ce processus de conversion. A côté de la réforme institutionnelle de l'Église (avec sa théologie, ses lois, sa morale, sa façon de former les futurs prêtres, sa conception de l'autorité, etc.), cette conversion concerne tout d'abord notre vie à nous en sa relation à Dieu. La conversion est un processus de synchronisation de notre vie avec la vie de Dieu qui habite en nous, un processus constant, qui n'a pas de fin, comme c'est le cas d'un projet de la réforme (il commence, atteint son but et finit).

Ce processus de synchronisation de sa vie avec Dieu, Moïse à pu l'expérimenter lui-même. C'est quelque chose qui lui est tombé dessus. Il n'avait pas de projet de faire sortir les Hébreux d'Égypte. C'est sa rencontre avec Dieu sur le mont Horeb qui le met en processus de conversion de sa vie. L'Horeb, veut dire en hébreu « lieu désert, solitaire ». C'est dans ce lieu hostile, stérile, abimé par la chaleur du soleil et des vents, que Dieu se révèle, que Dieu est présent, qu'il parle. Il ne s'est pas révélé sur le Mont Blanc, ou dans un palais du pharaon, mais dans un lieu dépouillé des apparences, sur une colline nue, dans un buisson sans feuilles et sans fruits. Et plus tard encore, il se révélera sur une croix, sur un bois sec et mort.

Nous avons réalisé aujourd'hui que pour nous convertir, pour nous mettre au diapason avec Dieu, nous avons besoin de de paroles de victimes, de leurs témoignages. Nous avons besoin de vérité et d'humilité. Nous avons entamé le chemin du désert, le chemin de la sortie de l'esclavage vers la liberté, mais il n'est pas dit que nous arriverons tous dans la terre promise : ni Moïse ni la 1° génération qui est sortie d'Égypte ne sont entrées dans la Terre Sainte. Cependant, le plus important c'est de marcher, d'être présent à Dieu qui est présent à nous, ici et maintenant, présent en chacun de nous, indépendamment de notre nudité intérieure, avec ses aridités et ses blessures.

Pour ne pas continuer à marcher comme si rien n'était, comme ce roi du conte d'Andersen, demandons au Seigneur de nous donner la force, le courage, la curiosité, comme il l'a fait pour Moïse, d'entrer dans le processus de synchronisation de notre énergie vitale avec la sienne, de notre présence à sa présence au plus profond de nous.

F. Maximilien