2° Dimanche de Carême (C) Lc 9, 28b-36

Célébrer la transfiguration de Jésus alors que nous nous préparons à célébrer sa Passion peut paraître incongru et déplacé sauf que… sauf que, de manière paradoxale, la vision de la gloire de Jésus transfiguré prépare la vision de la gloire de Jésus sur la croix. Oui, la croix de Jésus est son titre de gloire, son trophée victorieux sur le démon et le mal vaincus par la surabondance de l'amour. La croix est la victoire de l'amour sur la mort, la croix est notre véritable glorification, la croix est la source de notre joie. Rien de doloriste, rien de masochiste dans une telle affirmation, mais la tranquille affirmation que le plus grand don de soi est source de la plus grande joie.

Et cela nous renvoie et nous ramène à notre carême. Finies les mines de carême et demain, signe providentiel : « bas les masques ! » Eh oui, le carême est le temps de la joie par excellence ! Comment ça ? Oui, c'est le temps de la joie parce que nous nous désengluons. Avez-vous vu, en été, les mouches se débattant, les pattes engluées sur les rouleaux de papier collant. Eh bien, en temps ordinaire, nous avons les pattes collées sur le papier-mouche de nos addictions : recherche effrénée du confort, des loisirs, du fric, des plaisirs de la bouffe et du sexe, de l'alcool, des jeux vidéo, etc. etc. etc. Et voici ce temps merveilleux du carême où nous pouvons nous désengluer, retirer nos cœurs de la glu de nos passions et respirer un air de liberté. N'est-ce pas une grande joie d'être libre vis-à-vis de nos passions, de nous sentir allégés et, comme un oiseau, nous dégager du filet, des pièges de la vanité et du conformisme ?

Dans la Règle, saint Benoît dit aux moines qu'en tout temps ils devraient vivre comme pendant le temps du carême. Il a diablement raison, il veut qu'en tout temps rayonne dans   le cœur et sur le visage de ses disciples la joie du carême, ce délicat parfum de l'amour de Dieu et des frères. Libre ! enfin libre d'aimer de tout son cœur de toute son âme de toutes ses forces ! Quand Dieu le Père nous commande de l'aimer ainsi et quand, avant de mourir, Jésus, son Fils, le demande à son tour, c'est pour la dilatation de notre cœur, pour que notre joie soit parfaite. C'est pourquoi, dans deux semaines, nous entendrons l'invitation de saint Paul : « Gaudete, iterum dico vobis, gaudete ! », « réjouissez-vous je m'échine à vous le redire, réjouissez-vous ! » réjouissez-vous d'être pleinement et librement associés à la folie d'amour de Dieu et à sa joie.

Nous pouvons comprendre la réaction de Pierre, Jacques et Jean : « Maître, il est bon que nous soyons ici ». Pierre rêve de s'installer dans un petit confort spirituel alors que Jésus s'entretient avec Moïse et Elie de son départ, de son « exode ». Jésus est l'homme qui marche comme le dit Christian Bobin. Et, pour saint Benoît, le moine est celui qui, le cœur dilaté, court sur les chemins des commandements de l'amour. Et nous verrons Pierre et Jean, au matin de Pâques, courir vers le tombeau vide, course qui ne s'arrêtera plus. « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui courent sur les montagnes porter la Bonne Nouvelle », c'est la course du Bien-Aimé et de la Bien-aimée dans le Cantique des Cantiques. Paul, à son tour, parlera de cette course joyeuse, oubliant le chemin parcouru, précise-t-il, c'est-à-dire, dégagé de toutes les pesanteurs et de la glu du monde et de ses mirages de vanité. Rendons grâce à Dieu pour ce temps du carême, ce temps de libération que le Seigneur nous offre et laissons-nous entraîner dès maintenant par la joie de Jésus qui s'avance librement vers la Pâque de son amour.

f. Pierre