29° Dimanche du TO*C Lc 18, 1-8

Foi, patience, ténacité, durée : les lectures de ce dimanche pourraient se retrouver en ces quelques mots et être une belle invitation à ne jamais désespérer d'une relation, fût-elle avec le plus corrompu des juges, fût-elle avec ses plus proches, fût-elle avec Dieu lui-même. Oui, voilà bien aujourd'hui une invitation à s'accrocher à la vie sans baisser les bras, en osant espérer un peu plus contre toute espérance, et toute ressemblance avec chacune de nos existences, avec quelques aspects de nos vies n'est alors pas tout à fait fortuite.

Ainsi, dans le passage de l'Exode que nous avons lu, il est donc question de marche dans un désert où de surcroît le peuple se fait attaquer et où il est contraint de se défendre, de réagir pour sauver sa peau, pour vivre, selon l'élémentaire loi de vie de ne pas laisser détruire sa vie, de ne pas laisser prendre sa vie, ce qui ne veut pas dire de ne pas la donner, c'est différent. Car pour partager un peu de notre vie encore faut-il être un tant soit peu vivant dès à présent et reconnaître que cette vie vient d'ailleurs de nous-mêmes, qu'elle est donnée par Dieu lui-même sans calculs de sa part. Bref, un don de la vie à ne pas laisser perdre, à ne pas laisser se gâcher, tout en consentant à sa fragilité même, à sa vérité, à son incarnation et par là même à sa fécondité. Conscient du caractère si précieux de cette vie confiée, la deuxième lecture nous éclairerait alors sur les relations que nous avons à y vivre, à y ajuster, par le souci à avoir du don de l'autre, du don qu'est l'autre, du don reçu de l'autre. « Nous sommes des cadeaux que le Père offre au Fils » disait Adrienne Von Speyr. Interviens alors à temps et à contre temps nous dit encore saint Paul, quand tu vois s'abîmer le frère ou la sœur sur des chemins de mort, dans des cultures de mort, et cela, peut-être au risque de l'ingérence dans la vie d'autrui ? Attention, ce n'est pas un appel aux redresseurs de torts qui réduiraient l'autre à de bien étroites limites, ce serait plutôt un appel à se sentir concerné et même responsable du don reçu par l'autre, du mystère qu'il porte en lui et qui le dépasse infiniment. Souci que l'autre vive en étant moi-même un vivant respectueux du mystère qui l'habite. Et voilà que ce souci semble être celui de tous, même d'un juge corrompu qui va rapidement faire justice à une pauvre veuve pour qu'elle ne lui casse plus la tête. A fortiori, c'est vraiment, nous dit l'Évangile, le souci de Dieu qu'il convient donc de prier sans se décourager, en une relation, une alliance contre toute espérance et aux expressions qui pourront déconcerter en faisant passer par des déserts, combats et autres nuits, mais, espérons, et autres nuits, mais, espérons, nuits étoilées par la foi, l'espérance et la charité pour reprendre une image de Thomas Merton. Déconcertant amour d'un Dieu vivant qui, à la différence du juge, va prendre patience. Et là, les traductions de l'évangile du jour permettent de penser que si Dieu semble prendre son temps, Il ne tardera pas à rendre justice au pauvre, ou encore, que le salut du pauvre, même s'il semble tarder, viendra certainement en son temps. Quel que soit l'avis des exégètes à propos de notre passage d'Evangile, nous pourrions comprendre que l'expression du don de l'amour de Dieu dans nos vies va rencontrer d'une certaine façon la résistance du temps, va s'inscrire dans une histoire, dans notre histoire avec ses ombres et ses joies, ses deuils et ses espérances. Oui, nous pourrions comprendre un peu de la patience du Père qui nous attend par-delà ces tombeaux (et il y en a dans nos vies !) d'où le Ressuscité ne cesse de vouloir nous sortir sans cesse. Nous pourrions aussi mieux comprendre la patience et la ténacité auxquelles nous sommes nous-mêmes invités, alors que nos travaux nous semblent parfois fastidieux, que les choses et les événements ont une pesanteur, une résistance qui nous empêche de les considérer comme nous voudrions, comme une grâce ou le temps favorable. Oui, il y a bien là, comme le rappellent les textes de ce jour, le mystère d'un salut, le mystère d'un amour de Dieu dans nos vies, dans celle de l'autre. Mystère d'un salut, mystère d'un amour qui s'inscrit et se déploie dans une durée, une histoire parfois chaotique mais où nous sommes appelés, de deuils en pâques, à sortir sans cesse de nos tombeaux, de nos illusions, dans le royaume déjà présent vers le grand face-en-face final, vital. Sans cesser de se décourager alors d'une relation parfois bien ténue ou difficile avec Dieu, l'autre et soi-même, prier avec foi, c'est à dire avec confiance, grâce et à partir du merveilleux don de la vie que Dieu nous fait. Un don, je le répète, qui s'inscrit sur un chemin, dans une histoire parfois nocturne, un don qui s'inscrit dans l'épaisseur de notre pâte humaine, dans notre incarnation où Jésus nous a rejoint et nous rejoint toujours. Et si un juge douteux parvient donc à témoigner un minimum d'humanité à une vieille folle importune, ce pourrait être un encouragement pour nous à humaniser un tant soit peu quelques petites choses dans nos vies, humaniser un tant soit peu ce que Dieu aura la joie de diviniser, car, disait le P. François Varillon, Dieu ne peut diviniser que ce que l'homme humanise avec foi, patience, ténacité, durée, espérance et charité.

frère Philippe-Joseph