27° Dimanche du TO*C Lc 17, 5-10

Frères et sœurs, il n'est pas rare d'entendre les réflexions suivantes de la part de chrétiens participants régulièrement aux célébrations eucharistiques :
«Rien ne me déçoit plus que d'entendre proclamer à la messe des textes de la Bible auxquels je ne comprends rien.»
«Ne pourrait-on pas nous épargner ces textes incompréhensibles et choisir des passages plus porteurs ?»

Précisément, prenons garde de ne pas nous méprendre devant l'Evangile déroutant que nous venons de proclamer.
D'abord, ce passage de la Parole de Dieu contient deux récits qui n'ont apparemment pas grand-chose à voir l'un avec l'autre.
Mais l'un et l'autre ont une signification immense.
Ce sont deux paroles que le Christ nous adresse aujourd'hui, l'une pour nous encourager et l'autre pour nous mettre en garde.

La première parole pour nous encourager.
Oui, avouons-le, nous sommes parfois découragés.
Avoir la foi, qu'est-ce que cela change ?
À quoi cela sert de croire ?
Les croyants ont-ils changé le monde depuis 2000 ans ?
Et comme les apôtres, nous supplions :
«Seigneur, augmente en nous la foi ! »

Or, Jésus nous fait une réponse étrange.
C'est comme s'il disait : il ne faut pas parler de la foi en termes de quantité mais de qualité.
De quelle foi parlez-vous ? Dans toutes religions, en effet, la foi peut se pervertir. Elle peut fabriquer des croyants ou des fanatiques. L'actualité nous le rappelle tragiquement.
Au long de l'Histoire, les chrétiens eux-mêmes n'y ont pas échappé. Alors, de quelle foi parlez-vous ? Si c'est la foi au Dieu Amour, «vous en auriez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi, et va te planter dans la mer', il vous aurait obéi !

Frères et sœurs, ces images n'ont pas été choisies au hasard.
Graine de moutarde et grand arbre, très certainement sycomore.
La plus petite de toutes les graines et le plus majestueux des arbres. L'opposition entre les deux est radicale, mais il les faut tous les deux pour dire la foi : ce petit rien insaisissable dont les effets sont sans mesure.
Un petit rien comme une pincée de sel invisible mais indispensable. Un petit rien comme un peu de levain qui fait lever toute la pâte. Un petit rien comme une petite semence qui peut devenir un grand arbre.

Un arbre qui ira se planter dans la mer !
C'est, sans nul doute, l'image la plus forte. En effet, l'arbre, symbole de vie par excellence, et la mer symbole de mort.
Les Juifs, en effet, considéraient la mer comme le lieu des puissances du mal.
La foi au Dieu Amour peut donc faire surgir la vie jusque dans les bas-fonds de mort !

Certes, nous pourrions réagir en disant :
«Tout cela c'est de la littérature. Citons plutôt des noms de croyants qui ont fait surgir la vie dans les profondeurs de mort.»

Frères et sœurs, n'en connaissez-vous pas de ces chrétiens qui savent creuser un sillon, ouvrir une espérance là où tout le monde désespère ?
Ils puisent leur force dans la foi au Christ.
C'est leur enracinement dans la prière qui les a le plus souvent poussés à se lever pour changer la vie autour d'eux et dans le monde.

L'Histoire des chrétiens est pleine de ces grands témoins qui ont planté la vie jusque dans les décors de mort. Pour n'en citer que quelques-uns à la fin du XXe siècle. Nous connaissons certainement les noms de Maximilien Kolbe, Dietrich Bonhoeffer, Édith Stein et plus proche de nous Oscar Roméro, Pierre Claverie, les sept moines de Tibhirine !
Jusque dans l'enfer des camps de concentration ou dans l'horreur d'un monde de violence, ils ont pris conscience qu'ils étaient responsables de rendre Dieu présent dans cet univers de mort.

Frères et sœurs, de tels témoins sauvent le monde !
Nous parlons des saints, des personnages d'exception, mais que dire de tant d'hommes et de femmes ignorés qui donnent leur vie jour après jour obscurément.
La petite graine de moutarde vit en eux, à leur insu peut-être, ils ne le savent même pas, c'est Dieu qui l'a semée.
Une superbe allégorie extraite de la culture slave peut illustrer notre propos.
On raconte à Prague qu'un homme âgé et très religieux fut, un jour, pris sous le jet de pierres d'un groupe d'enfants et que les pierres, en l'atteignant, se transformèrent en boutons de roses.
Si cet homme de Dieu transformait les pierres en boutons de roses, c'est qu'il aimait tellement les enfants qu'il ne pouvait leur permettre de devenir les assassins d'un vieillard.

De la poésie, tout cela ? Oui... Un rêve ? Oui...
Mais c'est le rêve de Dieu ! C'est lui qui sème l'amour dans nos cœurs, un amour qui peut faire des miracles.
Ce petit rien insaisissable dont les effets sont sans mesure.

Frères et sœurs, c'était la première parole du Christ pour nous encourager.
Voici la deuxième pour nous mettre en garde.

Jésus raconte l'histoire des serviteurs, nous devrions utiliser ici le terme esclaves, auxquels le maître ne devait rien, selon la pratique inhumaine de ce temps-là.
Bien évidemment, inutile de préciser que le Christ n'a pas raconté cette histoire pour légitimer cette inégalité cruelle.
C'était plutôt, comme dans toutes les paraboles, pour attirer l'attention de ses disciples et leur exprimer clairement :
«Quand vous avez fait tout ce que Dieu vous commande, vous n'avez fait que votre devoir, comme des serviteurs, voilà tout.»

Frères et sœurs, cette parole s'adresse à nous.
Cessons de nous enorgueillir de ce que nous faisons, de ce que nous faisons de bien, des services que nous rendons.
Cessons de soupeser notre utilité, nos mérites.
Finalement, cessons de nous prendre au sérieux.
Trop souvent, nous oublions que c'est le Seigneur Dieu lui-même qui nous a donné d'être ce que nous sommes et de faire ce que nous faisons.
Quand nous disons, parfois, que nous avons du talent, nous oublions que c'est Dieu qui nous l'a confié.
Nous n'en sommes pas les propriétaires.
Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?

Voilà les deux paroles essentielles que le Christ nous adresse ce matin. Nous les pensions étrangères l'une à l'autre.
En fait, elles n'en font qu'une.
Frères et sœurs, si nous voulons déplacer les montagnes et déraciner les arbres, pour reprendre les mots de la parabole, faire surgir la vie jusque dans les profondeurs de mort, il nous suffit d'être de bons et fidèles serviteurs, là où nous sommes, tout simplement.
Amen

fr. Benoît-Marie