26° Dimanche du TO*C Lc 16, 19-31

Deux hommes. Deux mondes. Deux vies aux antipodes l'une de l'autre. Dans la première, celle d'un riche vêtu de pourpre et de lin fin. Dans la littérature rabbinique, la pourpre est réservée aux rois et à Dieu. Dans l'empire romain, elle est le privilège exclusif des empereurs. Quant au lin, c'est alors un tissu particulièrement fin en provenance d'Égypte ou d'Inde. La vêture de ce riche est donc éclatante et harmonieuse. Ce riche est aussi accoutumé à festoyer quotidiennement. C'est une vie de luxe et de plaisir. Mais ce riche est dépourvu de nom.

Dans la seconde vie, un pauvre, littéralement jeté à ce portail du riche comme l'indique le verbe en grec. Il est sans maison. Sa peau est couverte d'ulcères. Il aurait bien  voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche. Sa compagnie : des chiens qui lèchent ses ulcères. Mais ce pauvre a un nom : « Lazare » qui signifie : « Dieu vient en aide ».

Un fossé sépare ces deux hommes, statut social, aspect physique, genre et cadre de vie.

Mais une chose va les réunir, la mort qui les met à égalité.  Lazare meurt et le anges l'emportent auprès d'Abraham. Le riche meurt aussi, on l'enterre. Et là, de nouveau, deux situations contrastées. Lazare trouve la consolation et le riche la soif et la souffrance dans une fournaise. Un abîme infranchissable les sépare. Pourtant, l'un comme l'autre peuvent s'apercevoir au point que le riche reconnaît Lazare de loin et - stupéfaction- le nomme. Il connaît son nom, il connaît Lazare.

Que s'est-il donc passé pour ce riche qu'il n'ait de son vivant jamais nommé Lazare, jamais eu un regard pour lui ?

Il a été pris au piège des séductions de ce monde passager. Séduction du luxe, de la table, des plaisirs. Il s'est confondu avec ses richesses au point de devenir sourd à la parole de Dieu, aveugle au pauvre Lazare à sa porte. Ébloui par l'éclat des apparences, de son statut, il s'est laissé enfermé dans une fausse sécurité, dans une illusion trompeuse ; à tel point que cet homme n'a pas de nom. Ce riche s'est cru sans commune humanité, sans solidarité, sans communauté de destin avec ce pauvre Lazare.

Devant Dieu, il se retrouve assoiffé avec un abîme devant lui. Et pourtant, dans cet abîme, il voit Lazare. Que ne l'a-t-il vu lorsque qu'il était encore de ce monde ? Que ne l'a-t-il secouru lorsqu'il gisait à son portail ? Que n'a-t-il eu pour lui un simple regard, une parole, une main tendue ?

Un membre de l'association des captifs ; là, il faut entendre un « sans domicile fixe» ; ce membre, lors de son passage au monastère, me dit en parlant de lui et de ses compagnons d'infortune : « notre plus grande souffrance, ce n'est pas d'être dehors. Mais c'est de ne pas être regardé. On ne nous regarde pas ».

Voilà peut-être l'abîme : un attachement désordonné à des biens passagers qui éblouissent les yeux au point que le cœur s'aveugle et oublie le pauvre à sa porte. Ces richesses ne sont ni bonnes, ni mauvaises en soi. Mais mauvaises, elles le deviennent lorsqu'elles nous détournent, comme ce riche de la parabole,  de la solidarité avec les plus pauvres, durcissent notre cœur au point d'en oublier les hommes et Dieu et d'en perdre son nom devant lui. Il est des formes d'attachement dans ce monde qui nous enferment et nous aliènent, là où un simple geste d'humanité, un regard, un sourire, une parole libèrent des semences d'évangile, adoucissent les souffrances et apportent un peu d'humanité.

Frères et sœurs, ne croyons pas être si riches que cela, que nous n'ayons rien à donner à un pauvre, ni à recevoir de lui. Ne croyons pas non plus qu'il n'est pas en nous un pauvre qui sommeille et n'attende parfois un minimum d'attention fraternelle. Nous serons toujours le pauvre d'un plus riche ou le riche d'un plus pauvre. Ouvrons nos yeux sur nos richesses et pauvretés mutuelles, non pour creuser des abîmes entre nous, mais pour construire des ponts qui nous relient par notre commune humanité et précarité. Et comme le dit si bien ce proverbe africain : « Nul n'est assez pauvre pour n'avoir rien à donner, nul est assez riche pour n'avoir rien à recevoir ».

Fr. Nathanaël