23° Dimanche du TO*C Lc 14, 25-33

« Celui qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut pas être mon disciple »

            Chers amis, si vous êtes ici, c'est parce que vous êtes, parce que nous sommes disciples de Jésus. Et pourtant, qui d'entre nous – y compris les moines ici présents – a renoncé à tous ses biens ? Mais oui, sortons du cliché éculé du religieux qui quitte tout pour Jésus ! Le Père Louis Bouyer, dans son livre sur la vie monastique, parle des moines qui font vœu de pauvreté individuellement mais qui ont tout en abondance en communauté.

            Renoncer à tout ? Qui de nous, un jour ou l'autre, n'a pas entendu cette expression : « le bon Dieu n'en demande pas tant ! » Et pourtant Luc nous transmet les paroles de Jésus : « celui qui ne renonce pas à tous ses biens… » et dans le lot, il met père, mère et enfants, toute la smala, et, en prime, en plus, cerise sur le gâteau « sa propre vie ! »

            On a souvent édulcoré les paroles de Jésus en distinguant d'un côté des préceptes qui s'adresseraient à tous et de l'autre des conseils qui ne s'adresseraient qu'à quelques-uns, à une sorte de garde rapprochée, une élite. Or, manque de pot, dans ce passage, Luc nous dit que Jésus s'adresse à une grande foule qui faisait route avec lui. Il ne s'agit donc pas d'un petit cercle de privilégiés, mais bien de nous tous ici rassemblés, qui faisons route avec Jésus en ce beau dimanche, ayant repris le chemin de l'école pour les enfants, du travail pour les parents.

            Que nous demande donc Jésus ? En premier lieu de nous asseoir - et c'est bien ce que nous faisons en ce moment – et de réfléchir (sans nous prendre la tête pour autant !). Autrement dit, suivre Jésus, être son disciple, ne se fait pas sur un coup de tête ! Jésus nous demande de nous asseoir, de réfléchir et de calculer si nous avons assez d'argent ou assez de soldats. Il s'agit donc de calculer ce qui nous manque pour réaliser notre projet de construction immobilière ou de campagne militaire. Or, pour suivre Jésus, la conclusion est paradoxale : ce qui nous manque pour suivre Jésus, c'est tout ce que nous avons en trop, tout ce qui fait notre vie, nos biens et notre parenté ! C'est le chameau et son paquetage qui cherchent à passer par le trou de l'aiguille !

            Jésus nous demande de nous asseoir et de réfléchir. Il ne veut pas d'une décision (qui serait plutôt absence de décision) il ne veut pas d'une décision prise dans l'enthousiasme d'une foule en délire, chauffée par les paroles enflammées d'un leader charismatique. Jésus a l'art de nous prendre à rebrousse-poil, comme par exemple dans le discours sur le pain de vie, discours après lequel les foules ne veulent plus le suivre et l'abandonnent. On dirait que Jésus prend un malin plaisir à décourager ceux qui veulent le suivre.

            A ses disciples, Jésus propose sa chair à manger et son sang à boire ! Et qu'est-ce cela, manger la chair et boire le sang de Jésus, sinon prendre sa croix pour participer activement à la passion d'amour de Jésus ?

            Jésus nous propose donc de TOUT dépenser, de tout jeter dans la balance, de troquer vie contre vie, de troquer la vie pour soi, la vie ou l'on accumule biens, relations et plaisirs pour soi-même, pour l'épanouissement de son égo, et la troquer contre la vie avec Jésus, vie où l'on donne tout par amour, la vie où l'on se dépossède totalement pour se donner totalement et vivre l'amour, connaître l'amour. Dans la Cité de Dieu, saint Augustin nous dit que « deux amours ont fait deux cités : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu a fait la cité terrestre, l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité céleste. L'une se glorifie en elle-même, l'autre dans le Seigneur. L'une cherche la gloire qui vient des hommes, l'autre met toute sa gloire en Dieu, témoin de sa conscience. »

            Et il en va tout pareillement des gens mariés et des moines. Les jeunes mariés vont avoir à apprendre à aimer l'autre pour lui-même et non pour le plaisir et l'épanouissement que l'autre leur apporte. Les jeunes moines vont avoir à apprendre à aimer les frères de leur communauté pour eux-mêmes et non pour le plaisir et l'épanouissement qu'apporte cette merveilleuse communauté. En mariage, on s'assoit le temps des fiançailles, en vie religieuse on s'assoit le temps du noviciat.

            Petit détail : en un autre endroit Jésus demande de prendre sa croix chaque jour. Ce qui veut dire que chaque jour nous nous asseyons pour réfléchir, calculer et refaire le choix, et le bon !

f. Pierre