24° Dimanche du TO*C Lc 15, 1-32

Le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs lit-on dans la lettre à Timothée. Et saint Paul de nous dire combien lui-même est bénéficiaire de ce salut, de la miséricorde et de la patience de Dieu. Salut qui est en vue de la vie éternelle, pas moins. Lettre à Timothée qui fait bien écho à notre Évangile du jour, un Évangile prodigue en paraboles pour montrer justement la dimension d'un amour qui va au-delà du raisonnable et qui s'inscrit dans un contexte particulier exigeant de tous, de nous, une participation, et pas n'importe laquelle, de fils ou de fille bénéficiant dans la joie, d'une grâce qui ne peut qu'être partagée. Oui, ce thème de la joie est évident et commun aux trois paraboles du jour.

À l'image sévère et même dure que certains ont de Dieu, Jésus oppose bien celle d'un Dieu aisément rempli de joie et que l'on peut rendre heureux ! Et la leçon principale de chacune des trois paraboles pourrait se résumer ainsi : « Il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion ». Le berger qui a retrouvé sa brebis perdue la prend donc « tout joyeux » sur ses épaules et dit à ses amis : « Réjouissez-vous avec moi ». De même la femme qui a perdu l'une de ses dix pièces d'argent dit à ses amies et à ses voisines : « Réjouissez-vous avec moi ».   Et le père qui a retrouvé son fils perdu invite toute sa maisonnée à la joie et prépare un grand banquet. La première partie de cette parabole se termine d'ailleurs par les mots : « ils commencèrent la fête ».

À cette image du Père si facilement rempli de joie et si enclin à festoyer serait opposée, dans la deuxième partie de la parabole, celle du fils aîné, qui, aucunement enclin à la joie, s'inquiète lorsqu'il entend « la musique et les danses », et qui s'informe de ce qui se passe. Apprenant que le Père a préparé une fête pour se réjouir du retour de son frère, non seulement il ne veut pas se joindre à la fête, mais il se transforme même en trouble-fête. Certains commentateurs vont jusqu'à dire qu'il aurait presque oublié d'être fils en se comportant comme un serviteur voire même en esclave : « Il y a tant d'années que je suis à ton service sans avoir jamais désobéi à tes ordres... ». Et oubliant d'être fils, il peut difficilement se reconnaître frère : ton fils que voilà qui a dévoré ton bien ! Et voilà que ce fils indigne pour une grande part ne semble jamais avoir cessé de se situer en fils : D'abord en exigeant sa part d'héritage en tant que fils, puis en reconnaissant sa misère devant son père, l'appelant justement père : Père, j'ai péché (...) Je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ! Et nous, sachons aussi nous reconnaître envers et contre tout fils et filles alors même que notre cœur nous condamnerait car ce Père plein de tendresse est plus grand que toutes nos prisons internes. N'ayons pas peur non plus de nous réjouir nous aussi au retour d'un frère, d'une sœur retrouvant le chemin de la vie par le pardon, alors même que nous aurions pu les enfermer plus ou moins définitivement dans leur comportement.

Oui, il est certes encourageant pour nous de savoir que Dieu se réjouit et fait la fête chaque fois que nous revenons à lui après nous en être éloignés (il serait donc pratiquement toujours en fête ?) mais il nous invite aussi à nous réjouir et à festoyer avec lui chaque fois qu'un de nos frères, qu'une de nos sœurs revient à lui.  C'est la leçon finale de ce récit évangélique : « Il fallait bien festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ».

Et vous remarquerez encore que cette joie n'est pas solitaire mais bien solidaire, inscrite dans des liens, une communion. Ainsi, le berger de la première parabole n'est pas un homme isolé.  Il a des amis et des voisins, avec qui il a des rapports étroits, de sorte qu'ils sont appelés « ses » amis et « ses » voisins : notez le possessif. De même, la femme de la deuxième parabole invite « ses amies et ses voisines » à se réjouir avec elle. Et ce berger ne se contente pas de faire retourner au troupeau la brebis égarée, mais il la porte tendrement sur ses épaules et il appelle ses amis à se réjouir, car, dit-il, j'ai retrouvé « ma brebis, celle qui était perdue ». Elle est donc devenue « sienne » à un titre particulier, du fait qu'elle s'était perdue.

Mais c'est encore dans la parabole de l'enfant prodigue que cette note d'intimité revient avec le plus d'insistance comme nous l'avons déjà remarqué.  Même si le fils cadet est donc un faible et un égoïste, qui veut jouir sans tarder de son héritage, il conserve bien ce lien personnel avec son père. À travers toutes ses bêtises et ses péchés, il n'a pas perdu cette relation filiale unique ; c'est d'ailleurs pourquoi il s'en juge indigne : « je ne suis pas digne d'être appelé son fils... ».  Ce à quoi le père ne répond même pas. Le malheur du fils aîné, insistons encore, est qu'il semble bien avoir perdu cette relation filiale. Il s'est graduellement transformé en serviteur et a fait de son père un maître : « Il y a tant d'années que je suis à ton service... ». Et parce qu'il ne semble plus avoir d'authentique et aimante relation filiale avec son père, il ne peut plus avoir de relation fraternelle normale avec son frère.  Il dédaigne d'ailleurs de l'appeler son frère en le désignant hautainement : « ton fils que voilà ».  Ce à quoi le père répond avec tact : « ton frère que voilà » était mort et il est revenu à la vie. Voilà qui est bien rassurant pour nous dans cet Évangile, car il nous apprend que même lorsque, à l'image du fils aîné, nous traitons Dieu comme un maître plutôt que comme un père et que nous nous dissocions ainsi de nos frères et sœurs jugés à l'hypocrite mesure même par laquelle nous risquons de nous juger, Dieu continue de nous dire tendrement, comme au fils aîné de la parabole : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi ». Oui, laissons-nous pénétrer de la joie d'avoir un tel père, et d'être par ce fait même frères et sœurs.

Au cours de cette eucharistie que nous allons maintenant poursuivre, laissons cette joie nous rejoindre, car non seulement nous étions perdus et nous avons été retrouvés par ce père qui est loin d'être un mièvre bisounours ; mais tous nous sommes appelés à nous retrouver tous ensemble en la joie qui demeure au banquet des noces de l'Agneau.

F. Philippe-Joseph