22° Dimanche du TO*C Lc 14, 1.7-14

Avez-vous remarqué, frères et sœurs, comment Jésus, dès le début de cet évangile, est observé, mis sous observation ? Il est « entré dans la maison d'un chef des pharisiens pour y prendre son repas » – il est donc lui-même un des invités – « et ces derniers (c'est-à-dire les pharisiens) l'observaient », nous dit saint Luc. Et on imagine facilement tout ce que cette observation comporte, au mieux, de perplexité, et plutôt de méfiance, voire d'hostilité, avec l'intention de le prendre en défaut, par exemple sur l'observance du sabbat, dans le cadre duquel la scène se déroule.

Mais Jésus, tout en étant objet d'observation, sait se faire lui aussi observateur. Pour preuve : l'épisode de la pauvre veuve et de son obole au Temple que lui seul relève et met en valeur, et encore le fait que la plupart de ses enseignements s'appuient sur l'observation de la nature et de la vie courante. Alors, Jésus ne manque pas de « remarqu[er] comment [les invités] choisiss[ent] les premières places » et cela le pousse à dire une parabole justement à ces « invités » (dont il fait partie, rappelons-le), une parabole qui met en scène quelqu'un qui a été invité.

Or, frères et sœurs, ne sommes-nous pas nous-mêmes ce matin des invités ? En venant à la messe, n'avons-nous pas répondu à l'invitation, à l'appel du Seigneur et de son Église ? Certains sont au premier rang, d'autres au dernier… Et heureusement ! car il n'est pas très agréable de présider et de prêcher avec devant soi des bancs vides en tentant de deviner la présence de fidèles derrière les piliers ! Que personne donc ne culpabilise, il ne s'agit pas de cela ; mais plutôt d'accepter de nous sentir concernés par l'enseignement de Jésus et de le recevoir de bon cœur, tel qu'il nous implique, chacun personnellement. Comme le dit Ben Sira, « l'idéal du sage, c'est une oreille qui écoute ».

À travers sa parabole aux invités, Jésus nous donne à tous une leçon d'humilité où se révèle surtout sa propre façon de faire. Avec la conclusion « quiconque s'élève sera abaissé ; et quiconque s'abaisse sera élevé », comment ne pas retrouver la dynamique 'Incarnation-Passion-Résurrection-Ascension' synthétisée par saint Paul dans l'hymne aux Philippiens que nous avons tous en tête ? : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti, prenant la condition de serviteur (…) il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté. » (Ph 2, 5b-7a.8-9a) En matière d'humilité, commençons par reconnaître que nous sommes tous assez loin du compte et que Jésus seul est en mesure de nous “faire la leçon”, une leçon dont il est l'illustration parfaite.

Jésus, qui a bien su observer le comportement des invités, a dû de même observer « celui qui l'avait invité » et ce dernier reçoit aussi à son tour une leçon. Après la leçon d'humilité, c'est maintenant une leçon de gratuité. Offrir à ceux qui n'ont rien à offrir. Non seulement ne pas exiger, mais ne pas même attendre « un don en retour ». Ne rechercher aucun autre bénéfice que le bonheur de donner, ne miser sur aucune autre justice que celle de « la résurrection des justes ». Là encore, n'est-ce pas tout le comportement de Jésus lui-même ? Il nous a aimés du plus grand amour et nous a sauvés en donnant sa vie pour nous « alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5, 8).

La succession immédiate entre la parabole aux invités et la leçon de gratuité pour celui qui invite ouvre la possibilité d'un lien entre les deux et nous permet d'articuler ces deux vertus ou qualités auxquelles Jésus nous appelle. L'humilité ne consiste pas à fuir, mépriser ou condamner les premières places (et ceux qui peuvent les occuper), mais à ne rien s'attribuer ni revendiquer par nous-mêmes au titre d'un quelconque mérite ou droit acquis, pour attendre, au contraire, de tout recevoir de celui qui donne entièrement gratuitement. Si Jésus ne permet à personne de s'octroyer la première place, ce n'est pas qu'elle soit mauvaise et indésirable en soi, c'est parce qu'il veut nous donner, nous offrir cette première place. Et dans le mystère infini de sa grâce, il veut et peut nous la donner à tous, sans que personne ne soit lésé ou jaloux, en sorte que chacun, comme Marie de Béthanie, puisse avoir cette « meilleure part, [qui] ne lui sera pas enlevée » (cf. Lc 10, 42).

Oui, à condition de ne pas nous l'attribuer mais de la recevoir gratuitement, nous sommes tous appelés à la première place, sans aucun risque d'embouteillage, sans aucune notion de concurrence ou de compétition. Tous à la première place, tous comme des premiers-nés bien-aimés : c'est là le miracle de la Jérusalem céleste, que la Lettre aux Hébreux décrit comme « des myriades d'anges en fête et (…) l'assemblée des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux ».

Frères et sœurs, voulons-nous bien nous laisser observer par Jésus sur ces critères d'humilité et de gratuité ? Voulons-nous bien surtout l'observer, lui, se révéler à nous dans l'humilité et la gratuité ? À l'opposé de celle des pharisiens, puisse une telle observation, en devenant contemplation, imprégner peu à peu notre cœur et nous transformer à l'image de notre Seigneur ! Que cette prise de conscience de l'amour absolument gratuit de Dieu pour nous, « pauvres, estropiés, boiteux et aveugles » que nous sommes, que cette prise de conscience toujours renouvelée nous conduise à l'action de grâce dans l'Eucharistie et nous mette en état de donner gratuitement à notre tour !

Amen.

fr. Jean-Roch