14° Dimanche du TO*C Lc 10, 1-12.17-20

Frères et sœurs, nous pouvons avoir l'illusion – ou le rêve – que les Évangiles soient Jésus pris sur le vif, alors que les Évangiles sont la vie et les actions de Jésus, écrites par des communautés chrétiennes après la résurrection. D'ailleurs, pris sur le vif avec saint Luc, c'est plutôt difficile car Luc – compagnon fidèle de Paul – n'était membre du groupe des Douze. Il écrit son Évangile pour des chrétiens de culture grecque.

Les Évangiles sont écrits par des communautés chrétiennes pour des communautés chrétiennes et cela bien après la résurrection, ce qui colore la relecture faite de la vie de Jésus.

Et il y a parfois une distance d'interprétation entre ce qu'a pu dire Jésus et ce que transmet la communauté de l'évangéliste. Un bon exemple est donné dans l'Évangile d'aujourd'hui. À cause du bâton et des sandales.

Chez Luc – comme chez Matthieu – Jésus dit : « ni sandales, ni bâton » ; c'est au chapitre précédant pour le bâton chez Luc . Mais le Jésus de Marc dit : prenez un bâton et des sandales. Il faudrait savoir !

C'est là qu'il faut prendre conscience que les évangiles sont écrits pour les communautés chrétiennes destinataires et que les paroles de Jésus ont été adaptées aux conditions nouvelles des missionnaires. Avec Marc, du côté de Rome, le bâton et les sandales peuvent s'avérer nécessaires sans déroger à la pauvreté.

Et si dans la semaine vous creusez cette histoire de bâton et de sandales, regardez bien : chez Luc – et chez Luc seulement – il est question des 12 apôtres et des 72 disciples. Chez les autres, il n'y a pas les 72. Et à bien comparer, Luc puise dans le contenu de l'envoi des 12 apôtres de nombreux éléments pour cet envoi des 72.

Qu'est-ce à dire ? Et pourquoi 72 ? C'est le nombre des nations païennes dans la Bible.

Ainsi le Jésus de Luc met en place les 12 apôtres pour annoncer le Règne de Dieu, mais aussi un groupe beaucoup plus nombreux chargé d'annoncer ce Règne à toutes les nations, réputées être 72.

C'est un message de Luc pour la communauté destinataire de son Évangile. Et c'est une bonne nouvelle pour nous. Pourquoi ? « Il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre ». C'est très important. Laissons la question des deux par deux pour tout à l'heure.

« Il les envoya (…) en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre ». Luc met ces mots dans la bouche de Jésus, de son vivant.

C'est dire la confiance de Jésus envers l'équipe missionnaire … Il aurait annoncé le Règne de Dieu bien mieux qu'eux … eux qui quelques lignes avant se demandaient : qui est le plus grand et proposaient que le feu du ciel tombe sur des Samaritains inhospitaliers – nous l'avons entendu dimanche dernier – !

C'est dire Sa confiance envers les missionnaires de l'Évangile dans la communauté de Luc.

C'est dire Sa confiance envers les missionnaires de l'Évangile aujourd'hui.

Et il les envoie deux par deux.

Qu'est-ce-que cela signifiait-il à l'époque et qu'est-ce que cela peut nous dire aujourd'hui ?

Envoyer des messagers deux par deux, c'était la manière de faire en milieu juif car le témoignage concordant de deux personnes atteste la véracité de leur message. Nous le voyons dans les Actes des Apôtres avec Pierre et Jean, Paul et Barnabé etc. Nous voyons aussi à longueur d'Ancien Testament qu'il faut deux témoins pour condamner quelqu'un et cela aussi dans la Passion de Jésus.

Il est clair que ce donné de l'époque fonctionne moins maintenant. Cherchons quelle pourrait en être la pertinence pour aujourd'hui. Saint Grégoire le Grand l'avait fait en son temps en écrivant : il y a « l'amour de Dieu et du prochain. Le Seigneur envoie prêcher ses disciples deux par deux pour nous suggérer, sans le dire, que celui qui n'a pas la charité envers autrui ne doit absolument pas entreprendre le ministère de la prédication ».

Cela reste valable et nous pouvons actualiser encore pour notre temps. Deux personnes n'ont jamais le même regard sur un paysage, un tableau … et un être humain. Deux personnes n'ont jamais la même expérience, ni le même regard sur le mystère du Christ. Deux par deux permet de ne pas réduire l'annonce de l'Évangile et du mystère du Christ à un seul regard.

Et dans nos lectures favorites, si nous aimons lire un hebdomadaire chrétien de l'actualité proche de la vie (!), lisons aussi de temps en temps un autre hebdomadaire davantage centré sur la famille chrétienne, pour nous ouvrir à une autre sensibilité. Et si nous aimons lire un hebdomadaire centré sur la famille, lisons aussi de temps en temps un hebdomadaire chrétien de l'actualité, pour nous ouvrir à une autre sensibilité que la nôtre : celle de frères et de sœurs en Christ qui voient les choses autrement que nous !

Et sur l'actualité liturgique de ce propos, lisez la toute récente Lettre Apostolique du pape François.

Frères et sœurs, les Évangiles, c'est de la vie de communautés chrétiennes offerte à notre vie … dès lors, ce devrait être d'autant plus facile à accueillir … Tenez, à propos du bâton et les sandales, on pourrait interpréter en notre temps : ne prenez votre portable que lorsque c'est indispensable et surtout coupez-le quand vous entrez dans une église !

Fr. Jean-Jacques