1° Dimanche de l'Avent (A) Mt 24, 37-44
Frères et sœurs, sommes-nous à la fin d'un monde, ou au début d'un autre ? Je vous répondrais bien volontiers : « Un peu des deux » ! La fin d'un monde, en effet, car si l'on regarde la situation de notre planète, on peut se dire que tout est fichu, et que l'on va droit dans le mur.
Beaucoup s'attendent à un effondrement sans précédent (déjà commencé, d'ailleurs) qui aura des conséquences désastreuses sur l'économie, l'écologie, et la société tout entière. Certains hésitent à faire des enfants, dans ce contexte troublé ; d'autres, les « survivalistes », se préparent, comme Noé, à faire face au déluge qui vient. Chacun se demande : « Est-ce que je vais m'en sortir ? ». Car il semble que dans l'arche, il n'y ait pas assez de place pour tout le monde. Dans les champs ou au moulin, l'un est pris, l'autre laissé. Et puis, faut-il donc s'arrêter de manger, de boire, de se marier ? S'empêcher de vivre pour pouvoir échapper au cataclysme ? Tout cela paraît bien injuste. Pourquoi faudrait-il que certains s'en tirent égoïstement, et d'autres non ? Si l'ancien monde est terminé, et que le nouveau monde est réservé à une poignée d'élus et de privilégiés, à quoi bon ?
Regardons la situation d'un autre point de vue. Le mythe du déluge est universel, et il marque encore nos imaginaires collectifs. Le peuple d'Israël, exilé en Mésopotamie, a repris ce mythe à son compte, pour le confronter à sa propre histoire. C'est en raison de la méchanceté des hommes, nous dit le livre de la Genèse, que Dieu décide d'envoyer le déluge. Il se repent d'avoir fait l'humanité sur la terre, car il voit que le cœur de l'homme n'est porté qu'à faire le mal. Dans l'évangile d'aujourd'hui, qui fait allusion au déluge, on est surpris de ne pas retrouver ce contexte, mais seulement le fait de gens qui se marient, mangent et boivent. Rien de répréhensible, à vrai dire ! En fait, le texte fait écho à un midrash - c'est-à-dire un commentaire rabbinique - qui explique que Noé aurait été averti très tôt de la menace du déluge, de façon à donner à ses contemporains la possibilité de se convertir et d'être sauvés. La seule chose qui est donc reprochée à ceux qui mangent, boivent et se marient, c'est de ne pas avoir tenu compte de l'avertissement, au contraire des gens de Ninive qui se convertissent aussitôt à la proclamation du prophète Jonas. Ils ne se sont pas aperçus que le jugement était imminent, et qu'il fallait changer de vie.
Alors, on peut mieux comprendre, maintenant, pourquoi l'un est pris, et l'autre laissé. Car il est évident que certains écoutent, et d'autres non. Certains sont attentifs aux signes, aux alertes, alors que d'autres continuent comme si de rien n'était, « en faisant l'autruche ». Peut-être qu'il en est de même pour nous aujourd'hui. Est-ce que la Parole de Dieu change vraiment notre vie, ou bien continuons-nous à faire comme d'habitude ? Il est bon de manger, de boire, de se marier, mais Dieu nous invite à regarder plus loin, à sortir de notre confort, à être plus sobres dans nos comportements, nos manières de vivre. Si le monde semble s'effondrer, c'est en grande partie à cause de l'égoïsme des hommes. Les beuveries, orgies, rivalités et jalousies dont parle saint Paul en sont bien le reflet. La méchanceté, de tous les temps, commence lorsque le plaisir est débridé, et qu'il ne se donne pas de limites. Le prochain devient vite un frein à mon désir de possession égoïste. Au contraire, Dieu nous invite à nous préoccuper de nos frères dans le besoin. Si l'un est pris, et l'autre laissé, c'est bien parce que la Parole de Dieu est tranchante comme un glaive, nous obligeant à une vraie conversion, à sortir de la tiédeur et de l'endormissement. Il est temps de sortir de votre sommeil, dit l'Apôtre. L'heure vient, où le Christ surgira comme un voleur dans notre maison. Si nous pensions être le « maître » de cette maison qu'est notre vie, nous allons être bien déçus car Dieu va nous surprendre, nous déposséder de ce que nous pensions détenir fermement. Il en est de même pour la « maison commune » de notre terre, dont nous nous sommes habitués à épuiser les ressources, comme un maître qui abuse de son pouvoir. Si Dieu a confié la création à l'homme, ce n'est pourtant pas pour la dominer dans ce sens-là, mais pour la garder et la protéger.
Nous savons que Dieu fera toute chose nouvelle. Son avènement est aussi un retour. Le temps liturgique dans lequel nous entrons nous dit que la « parousie » est à la fois la fin d'un monde et le début d'un autre. Comme dit Pablo Servigne, un collapsologue, « une autre fin du monde est possible ». Il nous appartient de décider en toute liberté de l'avenir du monde que nous voulons laisser aux générations futures. La crise que nous vivons est un moment crucial de discernement qui nous oblige à prendre conscience de ce que nous devons changer. Si nous ne sommes pas capables de « veiller », de faire la séparation entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, en nous fixant des limites, Dieu s'en chargera, par sa Parole vivante qu'est le Christ, en perçant le mur de notre maison. Il brisera, par sa Parousie, toutes les structures de péché qui ont été construites et édifiées par les hommes, qui sont autant de « tours de Babel » délirantes et orgueilleuses.
Frères et sœurs, Jésus apporte en sa personne la lumière de la vie qui chasse les ténèbres de l'ignorance et de la violence. Sa parole est un glaive qu'il met dans nos mains, pour que nous menions le bon combat. Une guerre plus grande que toutes les guerres est à l'œuvre dans nos cœurs, pour faire triompher cette lumière. Si l'ancien monde semble s'écrouler, il n'en demeure pas moins qu'un autre, nouveau, peut renaître autour de nous quand nous sommes à notre place, solidaire de nos frères dans le besoin. Viens, Seigneur Jésus, dans notre monde, et recrée-le par ta grâce infinie ! Amen.
Fr. Columba