En chemin sur la Voie rencontre de deux traditions spirituelles : Bouddhisme zen et Tradition chrétienne
Début avril, 25 personnes, venues de Belgique, Suisse et plusieurs régions de France se trouvaient réunies à l'Abbaye saint Benoît d'En Calcat pour une retraite à la rencontre de deux traditions spirituelles - Voie du Bouddhisme zen et Voie chrétienne bénédictine.
Au pied de la montagne Noire, l'abbaye saint Benoît offre un cadre privilégié de sérénité pour vivre pleinement un temps hors du temps. L'hôtellerie confortable laisse l'esprit se consacrer à l'essentiel. L'environnement verdoyant du parc permet l'oxygénation et le lien à la nature propice à la détente corporelle.
L'accueil chaleureux de Frère Maximilien, tout nouvel abbé de la Communauté, l'ouverture et la disponibilité de l'ensemble des frères participent au climat de quiétude de cette session de quatre jours.
Pratiquer constitue l'objectif d'une telle rencontre. Ainsi du matin jusqu'au soir, nous alternons entre offices bénédictins, zazen (méditation assise silencieuse), Qi Gong, enseignement, travail communautaire, calligraphie. Selon une organisation monastique, dans la fraîcheur du lever du jour, nous rejoignons l'église pour chanter les Laudes avec nos frères. Le ciel étoilé faisant place à la grande clarté, alors qu'un coq réveille la basse cour, nos pas glissent vers la salle installée pour la méditation, le « zendo », pour pratiquer zazen guidés par Jokei-Ni, Myoshô et Mokushô. A la dernière vibration du bol, chacun se lève, se rechausse et se dirige paisiblement vers la salle du petit déjeuner que nous partageons en silence.
Trois moines de l'école zen Sotô, accompagnent le groupe de participants : Jokei-Ni, abbesse de Hokai-Ji, monastère La Demeure sans Limites en Ardèche, Myoshô, responsable du Dojô zen d'Angers, Mokushô, enseignant au temple Daishin Ji à Mons en Belgique.
Leur connaissance approfondie de la spiritualité bouddhiste acquise dans un long apprentissage au Japon et une pratique quotidienne, nous font bénéficier de riches enseignements. Nos trois maîtres puisent également dans les textes et références de la culture judéo-chrétienne qui les a vus grandir.
Mokushô nous partage l'importance du silence. Clé de la présence à soi et au monde, le silence devient enseignement et réponse. Ne s'attardant pas avec des mots, la production mentale s'en va d'elle-même, le silence s'installe par la pratique régulière de zazen. L'esprit devient paisible, lucide, stable par l'abandon de l'usage du langage.
Jokei-Ni nous présente la Roue de la vie bouddhique. Représentation iconographique des différents états qui cohabitent en l'Homme au fur et à mesure des circonstances, des événements et des émotions associées. Cette roue foisonne de détails imagés qui aident à comprendre l'interdépendance entre nos pensées, nos actes, notre environnement et jusqu'à leurs conséquences.
La phrase « Vivre mû par vœux (ou) vivre mû par les désirs », fait écho au concept d'impermanence si important dans la spiritualité bouddhiste. Myoshô nous invite à une conscience aigüe entre nos aspirations mondaines et une direction de vie. C'est toute notre liberté de choix qui se trouve ainsi convoquée.
Au travers de plusieurs passages de la Bible, F. David nous invite à développer le plaisir d'être attentif. La vigilance s'exerce à partir d'une vive conscience de l'état de notre esprit enclin à la distraction. Demeurer en veille nous conduit à l'acuité de celui qui sait reconnaître dans la fleur de l'amandier, les prémices du printemps. Apprendre à voir une grande oeuvre dans le minime est le chemin de vie du moine.
En éveillant notre sens auditif avec des séquences musicales, F. Sébastien-Jean nous invite à une écoute sensible du silence qui donne puissance, relief et rythme au son. Percevoir le silence nous fait pénétrer au coeur du Magnificat de J.S. Bach ou nous propulse dans l'impétuosité de la trompette d'H. Tomasi. Le silence dans la musique ponctue la conversation entre le compositeur, les instruments et les interprètes.
F. André-Jean partage son questionnement. Pourquoi vient-on au monde sur cette terre ? Je suis sur terre pour me préparer à mourir et pour aimer.
Comment devenir de plus en plus libre ? Et de quelle liberté s'agit-il ?
Deux axes de liberté s'ouvrent à nous. La liberté « de »… est-ce la vraie liberté ?
La liberté « pour »… aimer davantage. Sur les chemins de la vie, il n'existe que des cas particuliers. Edith Piaf est une « sainte » , selon F. André-Jean. « Elle est un témoin de l'Amour dans une vie cabossée. L'Amour de Dieu fait des saints avec des vies qui n'ont rien à voir avec les canons de la morale humaine ».
Soeur Marie-Samuel de l'abbaye sainte Scholastique, témoigne de son long chemin de rebellion avant de se laisser apprivoiser par la Règle de saint Benoît. « Entrer au monastère à 27 ans ... une évidence, se soumettre à des textes du VIème siècle ... pas question ! »
Elle décide de s'appuyer sur des témoins dont sa maîtresse des novices déployant une bienveillance exemplaire. Peu à peu le texte parle. La vie communautaire s'éclaire. Passer du « Je » au « nous », un long travail de coude à coude qui assouplit le coeur et façonne un « Je » libéré.
« J'apprends encore chaque jour le « possible de Dieu » qui crée la vacuité en moi ».
Malgré sa « journée de désert », F. Daniel nous gratifie de son temps et nous accueille à l'atelier de fabrication de cithares dont il a la charge. En chemin, nous bénéficions d'une vraie plongée dans l'histoire, la construction et l'évolution de l'abbaye jusqu'à aujourd'hui.
Le groupe occupe tout l'espace du minuscule atelier où F. Daniel montre, explique, fait entendre comment une planche devient un instrument à la tonalité juste et harmonieuse pour accompagner le psalmiste. Cette visite nous rendra plus attentifs encore à l'accompagnement musical des psaumes pendant les offices.
La Règle de saint Benoît tout comme la tradition zen fait une place importante au travail communautaire. C'est sous la conduite de F. Bernard, responsable du parc que nous adoptons la tenue de jardinier pour faire la toilette printanière des allées de promenade en les allégeant de leurs végétaux. Munis de grattoirs de toute sorte, cette activité de plein air est vécue comme une récréation très efficace et joyeusement menée sous un soleil éclatant.
Le programme de cette session intégrait une séance de Qi Gong quotidienne. Chaque matin après Laudes, zazen et le petit déjeuner, Michel nous entraîne de manière simple et bienveillante à mettre tout notre être en mouvement. Gymnastique traditionnelle chinoise fondée sur la maîtrise du souffle, associant mouvement lent et respiration, le Qi Gong consiste en un enchaînement de postures calées sur l'inspir et l'expir. La mise en énergie individuelle se propage à l'ensemble et se répand dans l'univers dont nous sommes un des éléments. Michel, médecin et maître avisé de Taïchi et Qi Gong, nous enveloppe de son sourire permanent et sait rejoindre chacun là où son être peut aller en cet instant.
Shodô, une activité que j'aime pratiquer et partager
Dans la culture zen, « shodô », l'art de l'écriture, devient une voie spirituelle, de même que « kadô », la voie des fleurs et « chadô », la voie du thé. La quasi totalité des participants découvre la calligraphie : le matériel (pinceau, encre, papier), l'importance de la posture et du souffle, le geste. Avec application, tel un élève studieux devant sa feuille, chacun s'exerce à tracer ce qui du trait devient « kanji » - signe / sens. Les visages traduisent la surprise ou la joie d'adopter la posture de l'apprenti.
Shodô vise à tracer avec sincérité, sans rature, dans un élan dynamique, ce qui émane du souflle, passe par la main et se révèle par l'encre sur le papier.
Ainsi « si notre pinceau est droit, notre esprit sera droit » dit le proverbe japonais.
Shodô accompagne la contemplation et la méditation de celui qui embrasse la voie de Bouddha.
En signe de partage fraternel, le samedi, nous nous rendons à l'abbaye sainte Scholastique pour partager Vêpres avec nos sœurs.
A l'issue de l'office, un échange chaleureux s'engage avec Mère Mireille, sœur Marie-Samuel et notre groupe. Nos sœurs disent être touchées par notre venue et la vivante présence de l'ensemble du groupe. Mère Abbesse exprime une vive attention à nous écouter exprimer nos cheminements individuels diversifiés.
Je citais plus haut l'importance de « chadô » dans la voie zen. Si nous n'avons pas mis en œuvre une cérémonie de thé selon tous ses codes, nous avons dégusté le thé matcha, venu tout droit du Japon, dans un moment de belle convivialité avec nos frères.
Jokei-Ni et moi, aimons préparer les bols de thé « chawan » et vivre ce partage qui revêt un caractère cérémonial et sacré.
Je souhaite ici donner la parole aux participants en rapportant les témoignages exprimés en conclusion de cette retraite.
« L'accueil de la Communauté nous portait. La participation de frères à nos activités témoigne de leur engagement, de leur ouverture. Un environnement aidant à se centrer. Une organisation sans faille. L'alternance corps et esprit, une richesse. Le programme dense, un cadeau. Une atmosphère paisible, chaleureuse, très bienveillante. La joie, le respect, un vent de liberté permis par le cadre balisé. Le silence, à l'intérieur, en extérieur, au cours des repas, un vrai bienfait pour vivre l'essentiel ».
Quelques citations de participants :
« Le zen résonne avec ma foi chrétienne »
« Je me sens heureuse chez les Bénédictins, j'aime la simplicité, le non jugement »
« Magnifique complémentarité grâce aux 3 moines zen et le Qicong »
« A qui irions-nous ? J'ose le dire – A jésus et à Bouddha »
« Une telle rencontre porte l'espoir et la sagesse dont le monde a besoin »
« J'ai renoué avec l'ambiance de mon origine chrétienne. Je suis touché par les frères qui vivent d'une spiritualité profonde. J'ai découvert le plaisir de la calligraphie, je me laisse apprivoiser par le pinceau »
« J'ai vécu un réel bouleversement lors de la procession des offrandes à la messe de dimanche »
« Je me suis abandonnée, j'ai tellement reçu, tout vécu comme un cadeau »
« Je viens de vivre une expérience unique qui représente un avant et un après dans ma vie. Je reviendrai à En Calcat pour continuer le lien établi en moi ».
Cette rencontre spirituelle intense se termine sur une note d'espérance en la capacité des coeurs à s'ouvrir et se rapprocher.
Elle trouvera son prolongement dans le secret de chacun et dans des engagements plus collectifs.
Le lien mis en œuvre depuis plusieurs années entre nos traditions zen et chrétienne continue à tisser son ouvrage d'enrichissement mutuel.
Je remercie du fond du coeur chaque intervenant pour sa générosité à partager sa connaissance, sa compétence, son questionnement et sa conviction. Je remercie chaleureusement chaque participant pour sa confiance, son implication, sa joie, sa gentillesse, sa sensibilité, ses talents et tous les cadeaux offerts en sourire, en complicité, en attention et sous tant de formes variées.
Je tiens tout spécialement à remercier Frère Maximilien, débutant dans sa mission d'Abbé et préparant sa bénédiction abbatiale, qui s'est rendu disponible pour nous guider dans la visite du cloître et nous accueillant, Jokei-Ni, Myoshô, Mokushô et moi-même, un soir au Chapitre.
Enfin, j'adresse un MERCI chaleureux à tous les frères et les sœurs qui ont consacré du temps en écoute et en présence tout au long de notre session. Je veux aussi adresser un merci aux frères que nous n'avons pas vus et qui pourtant ont contribué à faire de cette retraite un havre de douceur. Je pense spécialement aux frères cuisiniers, à ceux qui s'occupent d'administratif et de gestion, à ceux qui nous ont accompagnés lors des offices et célébrations.
Enfin c'est à la Communauté entière d'En Calcat que j'adresse ma profonde gratitude.
La prochaine rencontre se déroulera du jeudi 16 avril au lundi 20 avril 2026 à l'abbaye sainte Scholastique.
Marie Demaugé-Bost
La prochaine rencontre aura lieu du 16 au 20 avril 2026 à l'Abbaye Ste Scholastique, à Dourgne. Pour plus de détails, cliquez ICI.