Le Baptême du Seigneur (C) Lc 3, 15-16.21-22

Aujourd'hui, je voudrais essayer d'entendre mieux un mot de notre évangile qui peut changer notre vie, la transformer.
Quel mot ?
Eh bien « aujourd'hui », justement : le mot « aujourd'hui ».
C'est un mot particulièrement important dans cet évangile de Luc que nous allons écouter tout au long de l'année.

Après son baptême, tandis que Jésus priait, la voix du ciel a déclaré : « Moi, AUJOURD'HUI, je t'ai engendré. »

Cette parole-là, une citation du Psaume 2, est propre à saint Luc, à certains manuscrits de cet évangile.

Or cet « aujourd'hui, je t'ai engendré » a eu une influence énorme dans les conceptions anciennes de l'identité de Jésus, de sa messianité, de sa divinité. Pourquoi ?

Je reprends le commentaire éclairant qu'en fait Dietrich Bonhöffer : « Dans les cercles gnostiques et hérétiques de l'Orient, l'idée avait pris corps que le jour du baptême était en réalité celui où le Christ était né comme Fils de Dieu. Mais cela impliquait la possibilité d'une dangereuse erreur, à savoir le MEPRIS DE L'INCARNATION. En effet, la naissance du Christ n'est pas le commencement naturel d'une vie humaine, suivie ensuite seulement d'une seconde naissance spirituelle ; elle est l'incarnation du Fils de Dieu pour le salut de toute la nature humaine. Si Dieu avait seulement adopté l'homme Jésus pour fils au moment du baptême, alors Jésus serait évidemment l'être unique, impossible à égaler, le surhomme ayant conquis pour lui-même la félicité. Mais nous, il n'aurait pas pu nous aider. Si par contre, Jésus est le Fils de Dieu qui, dès sa conception et sa naissance a adopté notre propre chair et notre sang, alors seul il est vrai homme et vrai Dieu ; seul il peut nous aider. »

Pour éviter cette fausse piste d'une adoption de Jésus au jour de son baptême, saint Luc a eu soin de faire entendre dans son évangile un premier « aujourd'hui », celui qui a retenti dans la nuit de Noël, par la voix des anges, une autre voix du ciel, adressée aux bergers : « Aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur, dans la ville de David. »

Ce point est évidemment capital en lui-même, mais il renouvelle et transforme aussi de façon décisive le sens du baptême de Jésus. Bonhöffer continue : « quand Jésus demande le baptême, il le fait –contrairement à tous les autres hommes– en tant que seul être bon, sans péché, et n'ayant pas besoin de pardon.

–écoutez bien !– Seul être bon, il ne se laisse justement pas séparer des hommes pécheurs. […] Compagnon du pécheur, tel est le Fils de Dieu. » (Dietrich Bonhöffer, Si je n'ai pas l'amour, recueil de textes, Genève 1972, p. 18-19).

Voilà ce qui est extraordinaire : le Fils de Dieu ne s'est pas voulu seulement frère des hommes, il s'est voulu frère des pécheurs.

Mais jusqu'où va Jésus le Fils de Dieu dans ce compagnonnage avec nous pécheurs ?

C'est un autre « aujourd'hui » qui nous le dit, un « aujourd'hui » imprévisible, totalement inattendu, incroyable, celui que Jésus fait entendre à l'adresse du plus inattendu des compagnons, son voisin de supplice sur la Croix,, un malfaiteur assurément, mais qu'on appelle depuis lors le bon larron : « aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis ».

Cette fois, l'aujourd'hui retentit depuis la terre en désignant le ciel.

Dieu-avec-nous sur la terre, au pire moment pour lui et pour nous, dans la situation la plus désespérée qu'on puisse imaginer, nous annonce un aujourd'hui de nous-avec-Dieu dans le ciel, dans le paradis.

Entendons bien cet « aujourd'hui ». Aujourd'hui pour nous déjà, aujourd'hui pour nous encore, aujourd'hui pour nous chaque jour.

Comment cela se fait-il, comment cela se fera-t-il ? Ce n'est ni magique, ni automatique.

Luc nous le raconte avec l'histoire d'un publicain : encore un pécheur ! Celui-ci était juché sur un arbre, comme le larron sur la croix, mais seulement pour voir passer Jésus. Jésus lui dit : « Descends vite, aujourd'hui, il faut que j'aille demeurer chez toi », et aussitôt après être entré chez lui, Jésus redit : « Aujourd'hui le salut est advenu pour cette maison. »

Frères et sœurs, aujourd'hui, nous aussi, pauvres larrons, publicains, fripouilles, pécheurs, centurions indignes, nous recevons chez nous Jésus dans l'eucharistie, par une communion dont nous ne pouvons que pressentir à grand peine la puissance, par la foi en Jésus.

Le mystère de Dieu-avec-nous, que nous avons chanté tout ce temps de Noël, est aussi déjà le mystère de Nous-avec-Dieu, si loin que nous soyons de toute perfection, si désespérée que soit notre situation, en un seul et même « Aujourd'hui ». Amen

frère David