Saint Benoît Mt 19,27-29
Frères et sœurs, puisque l'évangile (et la Règle de saint Benoît) nous invitent à tout quitter et à tout laisser pour suivre Jésus, je voudrais vous partager une petite parabole rabbinique qui illustre parfaitement cela.
« Un jour, un renard vint près d'un vignoble qui était entouré hermétiquement par un mur, à l'exception d'une ouverture trop petite pour qu'il puisse passer à travers. Il jeûna alors trois jours jusqu'à ce qu'il fût devenu assez mince pour s'infiltrer dans la brèche. Arrivé dans le vignoble, il mangea du raisin et retrouva son ancienne taille, de telle sorte que lorsqu'il voulut sortir, il s'aperçut, avec consternation, qu'il était trop gros pour passer par le trou. Il jeûna trois autres jours, redevint maigre et émacié, et sortit. Quand il fut à l'extérieur, il se retourna vers le vignoble et, le contemplant, lui dit : "Vignoble, vignoble ! Tu es beau et tes fruits sont sucrés. Mais quel bénéfice retire-t-on de toi ? Tel que l'on est entré chez toi, on te quitte". Il en est de même de ce monde ».
D'autres commentaires rabbiniques ajoutent qu'il en est de même de l'enfant, quand il vient en ce monde. Il serre les poings comme pour dire : « Le monde entier est à moi, j'en prends possession ». Mais quand, devenu vieux, il quitte ce monde, ses mains restent grandes ouvertes, comme s'il avouait : « Je n'ai rien eu de ce monde ».
Frères et sœurs, que nous enseignent ces paraboles ? Elles nous montrent que l'homme arrive nu et pauvre en ce monde. Et que pendant toute sa vie il n'a de cesse d'accumuler des possessions, des biens de toutes sortes. Sauf qu'il est contraint, au terme de son existence, de devoir lâcher et abandonner tout ce qu'il a, afin de pouvoir entrer dans le royaume de Dieu, dans la vie éternelle. Cela veut-il dire qu'il faut faire l'autruche pendant que passe la menace de cette vie terrestre, pleine de souffrances ? Ou bien cela signifie-t-il que nous devons refouler nos aptitudes, nos désirs, en fermant les yeux sur ce que le Seigneur nous a donné, c'est-à-dire des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, une terre ? Pourquoi devrait-on mépriser et nier ce qui est bon, sur ce qui est créé et voulu par Dieu ?
Il nous faut faire très attention à ne pas confondre renoncement et mépris. Si c'était le cas, on pourrait penser que les moines n'aiment rien ni personne, qu'ils sont insensibles et indifférents à la vie du monde, et qu'ils préfèrent s'enterrer avant l'heure. Rien de très réjouissant. La fuite du monde, pourtant, n'a rien à voir avec cela, et elle est accessible à tous, moines ou laïcs. Elle consiste plutôt à éviter la convoitise, la possession jalouse et égoïste, et c'est cela qu'il nous faut laisser, qu'il nous faut quitter. Il n'y a pas lieu de mépriser les personnes que l'on aime pour obtenir la vie éternelle ! Alors, comment faut-il entendre cette fuite du monde, dans le sens où Jésus a dit : « Vous n'êtes pas du monde, mais dans le monde » ?
En fait, il ne s'agit pas d'enfouir sa tête dans le sol comme l'autruche, simplement pour fuir ce monde, mais plutôt de creuser la terre afin de découvrir un trésor, comme le dit la première lecture tirée des Proverbes. Car si l'on passe sa vie à l'extérieur de soi-même, on ne peut pas vraiment répondre à l'appel de Dieu. Saint Augustin dit ceci, à propos du renoncement : « Quiconque s'aime après avoir abandonné Dieu et quiconque abandonne Dieu pour s'être trop aimé, ne demeure même plus en lui-même : il va jusqu'à se quitter lui-même ; il s'en va, exilé de son propre cœur, car il n'a plus de goût pour les réalités intérieures, il est tout aux extérieures. (…) Le mépris de Dieu et l'amour de toi-même ont fait de toi un exilé de toi-même et désormais tout le reste, qui n'est qu'extérieur, tu le préfères à toi. Reviens à toi, mais, dans cette marche en sens contraire qui va te faire revenir à toi, prends garde cette fois, de rester en toi ».
Frères et sœurs, c'est ce que le Christ nous propose : de quitter tout ce qui est extérieur (même si cela est bon) et de le suivre pour pouvoir atteindre le trésor qui est en nous-mêmes et qui est Dieu. C'est ce qu'il appelle « l'héritage de la vie éternelle ». Si le laboureur semble mépriser son grain en le répandant sous la terre, c'est parce qu'il est sûr d'obtenir du fruit la saison suivante. N'ayons pas peur de laisser ce que nous avons pour pouvoir porter ce fruit de la vie éternelle. Le Christ nous guide sur un sentier qui mène au bonheur. Faisons-lui confiance et demandons-lui la grâce de l'abandon à sa Providence. Amen.
Fr. Columba