25° Dimanche du TO*B Mc 9, 30-37
Complètement déconnectés ces pauvres disciples ! Alors que Jésus leur annonce sa Passion et sa Résurrection, bref, l'essentiel de sa venue parmi nous, voilà que les disciples ne trouvent rien de mieux à faire que de se poser la futile question de savoir qui est le plus grand, semblant oublier au passage la présence même de Jésus. Futiles mais dangereuses préoccupations qui, comme le rappelle si bien la lettre de saint Jacques, pourront conduire à ces convoitises, à ces jalousies engendrant les conflits, à ces rivalités à l'origine de toutes sortes d'actions malfaisantes, toutes ressemblances avec notre époque n'étant nullement fortuites.
Non sans finesse, saint Benoît, dans sa Règle, va suggérer à ses frères de ne pas se comparer entre eux, au risque de ce grand mal, de cette grande maladie dont notre pape François parle encore de nos jours : la tristesse qui pourra se décliner en pathologies plus inquiétantes comme l'acédie ou atonie et dégoût de la vie. Comment s'en prémunir ou plutôt comment mener le bon combat contre ces inerties mortifères pouvant conduire à faire mal, à se faire mal ? Peut-être en commençant par cette attention évidente à l'autre, par une certaine écoute bienveillante et attentive, ce que ne font apparemment pas les disciples laissant Jésus comme de côté. Mais une fois arrivés à Capharnaüm, Jésus va justement remettre les choses à leur place, à leur juste grandeur en plaçant au milieu d'eux cet enfant présenté en quelque sorte comme étant le plus grand, sans doute aussi parce que moins compliqué et plus accueillant dans la simplicité de son cœur. Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille et d'une certaine façon c'est aussi moi qui l'accueille. Et ça, c'est loin d'être évident ! Outre certaines postures d'orgueil excessif exprimant un mépris manifeste de l'autre, un rejet de l'autre allant jusqu'à ne plus le considérer comme faisant partie de l'humanité, il y aurait sans doute aussi, sans qu'on le veuille et sans volonté de faire le mal, cette invisibilisation de l'autre qu'on ne voit plus, qu'on ne calcule plus dit-on en langage familier. Oui, Dieu pourra volontiers se révéler à travers des signaux faibles, des évènements apparemment minimes, des rencontres imprévues, des situations que l'on n'avait jamais imaginées jusqu'à commencer à y porter un regard puis toute son attention au risque de voir son chemin de vie totalement réorienté. C'est d'ailleurs comme cela que la petite Sœur Teresa est devenue Mère Teresa de Calcutta, commençant à être attentive à la misère ambiante.
L'on pourrait aussi évoquer les œuvres de cet artiste canadien, Timothy Schmalz qui, dans les coins les plus improbables des rues à Rome, a mis de très suggestives statues en bronze, grandeur nature, de sdf vues de loin mais qui, lorsque l'on s'approche, représentent le Crucifié avec ses stigmates. Cette humilité et cette petitesse, dans laquelle se cache si souvent notre Dieu vivant et pédagogue, pourront évidemment se révéler bien ailleurs que dans des situations d'extrême détresse, dans une vie apparemment ordinaire comme celle qu'a pu mener en famille la petite Thérèse. Pédagogie de Jésus qui va doublement inviter ses disciples à le reconnaitre dans l'humilité de l'enfant tout en prenant exemple sur cette même humilité de l'enfant. Mais là, attention, sachons bien comprendre avec la Sagesse de la première lecture que lorsque Jésus nous invite à l'accueillir comme un enfant, il ne nous le demande pas avec une naïve mièvrerie, bien au contraire, mais bien plutôt dans la vérité d'un cœur simplifié, débarrassé autant que possible de ces complications de grandes personnes qui obscurcissent le regard, le discernement. A l'aviateur de Saint-Exupéry qui dit : « je m'occupe, moi, de choses sérieuses ! », le petit prince répond : Tu parles comme les grandes personnes… Tu confonds tout, tu mélanges tout. (…) Je connais une planète où il y a un monsieur cramoisi. Il n'a jamais respiré une fleur. Il n'a jamais regardé une étoile. Il n'a jamais aimé personne. (…) Et toute la journée, il répète comme toi : Je suis un homme sérieux. Je suis un homme sérieux ! Et ça le fait gonfler d'orgueil ! (…) Les enfants seuls, poursuit le petite Prince, les enfants seuls savent ce qu'ils cherchent, ils perdent du temps pour une poupée de chiffons et elle devient très importante. Si on la leur enlève, ils pleurent. » Ne serait-ce pas une invitation à laisser notre cœur s'assouplir et se dilater pour mieux percevoir cet imperceptible qui aura toute son importance, pour mieux discerner l'Essentiel invisible pour les yeux, pour mieux savoir rendre grâce de cette vie autrement plus dense et large que tout ce que nous pouvons imaginer, de cette vie du Christ qui va d'ailleurs nous rejoindre en cette eucharistie par le trois fois rien d'un peu de pain et de vin ? Oui, sachons Le reconnaitre et pourquoi pas le laisser, comme avec des enfants, jouer à cache-cache avec nous, si tant est que nous commencions à le chercher vraiment.
frère Philippe-Joseph