21° Dimanche du TO*A Mt 16, 13-20
Voici de nouveau le temps du bavardage institutionnel qu'on appelle « Ho-mé-lie ». Ne vous étonnez pas, ne vous scandalisez pas : un très grand prédicateur, St Jean Chrysostome se plaignait du peu de fruit de ses prédications à Constantinople. « Si j'arrivais à en faire rougir un seul… » se plaignait-il. Il réussit toutefois à en faire rougir une, l'impératrice qui, rouge de colère l'envoya en exil où il mourut ! Venons-en donc, sans rougir, à notre propos.
Rappelons-nous, les plus anciens, il y a cinquante ans, tous les livres intitulés « Ce que je crois » publiés autour de la question « Pour vous, qui suis-je ? » question que nous venons de réentendre dans le passage de l'évangile de st Matthieu. Aujourd'hui les livres ont changé, les plus jeunes lisent des mangas, mais la question est toujours là, inusable, lancinante, fascinante, doublement. « Pour vous, qui suis-je ? »
Lancinante et fascinante, premièrement, parce que les réponses toutes faites ne nous satisfont plus. Pire, si nous avons ce genre de réponses, c'est généralement pour nous débarrasser de la question. Quand nous prions, ne demandons-nous jamais à Jésus : « mais qui es-tu ? » J'ai beau lire et relire les évangiles, je suis aussi perplexe que tes disciples. Et nous voici avec la question épineuse : la foi est-elle une connaissance ? une certitude ? une assurance ? Il suffit de lire la suite des évènements, en particulier la vie de saint Pierre, pour nous rendre compte que c'est bien une connaissance, une certitude, une assurance mais curieusement mêlées de doutes. A la résurrection les disciples voient et doutent. Comment est-ce possible ? Le doute est-il l'autre face de la foi ? Comment se fait-il que la foi n'élimine pas le doute ? Pourquoi avons-nous besoin de marteler : « j'y crois dur comme fer ! »
Notre chère petite Thérèse de Lisieux a connu la nuit du doute, comment nous étonner si à certains moments nous avons l'impression de ne plus croire, de ne plus rien y comprendre et que toutes nos certitudes foutent le camp ? Et pendant ce temps-là nos gosses s'agrippent à nous et nous demandent « tu y crois, toi, papa ? » C'est dans ces moments-là que, miraculeusement nous viennent des mots d'une grande douceur, d'une grande fraîcheur… D'où cela vient-il ? Oh, c'est tout simple : de Dieu lui-même car Dieu est Amour et de cet Amour coule la vraie connaissance, la vraie certitude, la véritable assurance. Et quand il s'agit des petits, Dieu se révèle lui-même : « Je te bénis, Père, d'avoir caché cela aux sages et aux savants et de l'avoir révélé aux tout-petits… ! » C'est alors que nous ne trouvons plus les mots pour nous-mêmes que Dieu nous les donne pour les autres. Et le plus cocasse, c'est qu'en nous entendant, les autres nous disent : tu as de la chance de ne pas douter… ! Inutile de les détromper !
…et voici maintenant le deuxièmement, l'autre aspect des doutes qui nous assaillent : notre culture moderne a durcit le sens des mots « connaissance, certitude, assurance » en les réduisant à leur contenu objectif, scientifiquement démontrable. C'est le divorce consommé entre connaissance et évidence rationnelles d'une part, et la spiritualité qui se veut plutôt affective et sensible, d'autre part. Quand nous prions, méditons ou essayons de faire oraison, reconnaissons que nous sommes ballotés entre compréhension intellectuelle et recherche de sentiments. Dilemme que Pascal, en plein siècle des lumières, a décrit dans sa célèbre formule : « le cœur a ses raisons que la raison ne saurait croire ! »
Revenons à saint Pierre : qu'a-t-il voulu exprimer dans son cri « tu es le Christ, le fils du Dieu vivant » ? : une connaissance rationnelle, un cri d'admiration, d'étonnement ? Il va falloir la passion et la résurrection de Jésus pour que cela se mette doucement en place, c'est-à-dire le passage par l'inconnaissance, l'incertitude et la désorientation des sentiments. La connaissance que Pierre reçoit aujourd'hui du Père, va s'approfondir, s'enraciner et se purifier dans l'amour. Avez-vous remarqué l'importance du pronom personnel « TU » dans les dialogues entre Jésus et Pierre ? Le « TU » est plus important que le « JE ».
C'est ce dialogue qui fait que la connaissance de foi est vivante et passe par des variations et des obscurités. Ainsi en va-t-il quand nous lisons la bible, quand nous prions et que nous demandons : « qui es-tu Jésus de Nazareth ? » ou quand Jésus nous pousse dans les retranchements de nos certitudes et de nos évidences. Pour que le « TU » de Dieu se dévoile, notre « moi » que nous contemplons narcissiquement dans la prière, apprend peu à peu à disparaître. Alors le « JE » va pouvoir apparaître et se laisser interpeller par Jésus, parole et présence du Père. Alors, à la suite de Pierre, de Paul, de tous les apôtres et de tous les témoins de la foi, deux questions vont s'entrecroiser sans fin en nous : « Qui es-tu ? » - « Qui suis-je ? »
Fr. Pierre