Sainte Marie, Mère de Dieu Lc 2, 16-21

Marie, Mère de Dieu. Cette définition de foi, qui nous vient du concile d'Ephèse en 433, est tout de même un peu osée ! Comment peut-on dire que Dieu a une mère ? S'il est Dieu, il est l'auteur de la Vie, le Principe de tout, et donc il n'a besoin de personne pour exister ! Alors bien sûr, on s'en sort toujours en disant que Marie est la mère de Jésus ; et puisque Jésus est Dieu, comme son Père, alors elle serait « mère de Dieu » par analogie. Mais c'est une réponse un peu courte.

En réalité, il ne s'agit pas d'une question de « nécessité », mais d'un choix libre de la part de Dieu. Il a choisi de devenir un enfant, et donc d'avoir besoin d'une mère. Pourquoi vouloir interdire cela à Dieu ? De quel droit ? Est-ce que c'est à nous de lui dire ce qu'il doit faire, et comment nous voudrions qu'il soit ? Effectivement, ça nous bouscule, cette incarnation, ça nous dérange. On n'a pas l'habitude d'imaginer Dieu petit et nu comme un bébé. On aurait préféré qu'il soit grand et puissant, et qu'il nous protège, parce que c'est nous qui sommes petits ! Au lieu de cela, il nous demande de le protéger, de le nourrir, de prendre soin de lui. C'est le monde à l'envers. On n'est déjà pas tranquilles avec un enfant dans les bras, mais si en plus c'est Dieu qui est cet enfant, alors là, ça nous panique complètement. J'ai déjà assez à faire avec ma fragilité, s'il faut encore que je prenne en charge celle de Dieu qui fait exprès d'être petit, rien ne va plus. Ce n'est pas mon boulot de protéger, c'est le sien !

Frères et sœurs, rendons-nous à l'évidence : Dieu, même s'il n'a pas besoin de nous, a choisi de dépendre de nous en la personne de son Fils. Il leur était soumis, dit saint Luc ; et saint Paul le souligne aussi : Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme et soumis à la Loi de Moïse, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi de Moïse et pour que nous soyons adoptés comme fils. Si en Jésus, Dieu veut faire de nous ses fils, il veut aussi dans le même temps que nous soyons sa mère, comme Marie l'a été pour lui. Car sa naissance se produit toujours en nous ; à chaque instant, et pas seulement une fois. Alors, quelle mère faut-il donc être pour lui ? Certainement pas une mère possessive ou castratrice, qui retiendrait la vie ! Ni une mère qui se désintéresse de sa progéniture, et qui laisserait cette vie s'échapper. En fait, si nous voulons accueillir dignement Jésus, le fils de Dieu, en notre corps et en notre esprit, et le laisser grandir en nous, il faut aussi recevoir en même temps le Père et l'Esprit Saint. Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c'est-à-dire Père !

 Alors, je peux dire que je suis appelé à être, comme Marie, une « mère » pour Dieu, dans le sens où je laisse grandir en moi son Esprit qui fait advenir le Fils, et qui me rend libre. Ce Fils, cette Parole de Dieu, je vais comme Marie la « retenir » dans mon cœur. Non pas dans le sens de l'enfermer, mais de la garder, de veiller sur elle, comme sur un enfant. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, comme nous l'avons dit : prendre soin, protéger. Dieu, qui est grand, se fait petit pour que nous puissions être grands comme lui, c'est-à-dire dans l'humilité. Car nous savons bien que lorsque nous prenons un nourrisson dans les bras, on se sent tout petit, alors que pourtant c'est lui qui est petit. Et en même temps, nous sommes forts de la confiance qui nous est faite de le prendre. Dieu nous fait la grâce de le saisir à mains nues. Imaginons cela ! Depuis toujours, nous cherchions à l'appréhender en nous faisant de lui des images, des idoles de tout acabit. Maintenant qu'il nous est donné de le saisir, nous devrions faire attention à ne pas reproduire cette idolâtrie, par exemple en transformant la foi en simple croyance superstitieuse. Nous devons veiller sur Dieu, mais non pas le surveiller, ou l'enfermer dans nos catégories, dans nos concepts. Ce que nous pouvons saisir de Dieu, c'est la fragilité de son Fils, c'est notre propre condition qu'il a voulu prendre. Ce que Dieu veut que nous comprenions, c'est qu'en étant nous-mêmes, comme des fils, nous pourrons être comme lui.

Frères et sœurs, pour parfaire son œuvre, Dieu se retire, il s'efface. C'est tout le sens du shabbat, et du huitième jour que le Christ est venu accomplir dans le monde. La perfection de Dieu, c'est de consentir à l'imperfection, à la finitude de la nature humaine, en son Fils. Nous devons le suivre sur ce chemin de consentement. La virginité de Marie ne signifie pas autre chose que le manque, le vide, le shabbat, c'est-à-dire repos que Dieu veut accomplir en nous. Au dernier jour, il quitte sa puissance pour tout renouveler et s'incarner. C'est au cœur de cet espace libre que peut naître toute chose, tout être. Dans cette place vierge, un monde nouveau peut advenir. En cette fête, c'est le commencement, le premier jour de l'année, et en même temps le dernier jour de l'Octave de Noël. Le début et la fin se rejoignent en Dieu, la nouveauté et l'accomplissement, le vide et la plénitude. Rendons lui grâce pour son œuvre de salut, de libération, et soyons des fils, libres comme lui. Amen.

Fr. Columba