Jour de la Nativité du Seigneur Jn 1, 1-18

Et le Verbe s'est fait chair. Scandale : Dieu se fait homme, il prend un corps humain ! Comment est-ce possible ? Pourquoi Dieu veut-il se mêler à nous, à notre chair fragile ? Est-ce qu'il n'est pas bien, là-haut dans le ciel ? À vrai dire, la Trinité, l'Incarnation de Dieu, c'est vraiment trop compliqué pour beaucoup d'entre nous. On pourrait faire plus simple, quand même, afin que chacun reste à sa place : Dieu dans le ciel, et l'homme sur la terre. Mais non, Dieu en a assez de cette séparation entre lui et nous. Il veut nous rejoindre, car nous lui manquons.

Oui, nous manquons à Dieu ! Peut-être que lui, il ne nous manque pas, mais nous, nous lui manquons. En cette fête de Noël, c'est cela que nous célébrons : la venue de Dieu dans notre chair, dans notre humanité. Que cela nous plaise ou non, il est venu, et il vient encore chaque jour dans la fragilité de notre vie. C'est comme un enfant qui arrive subitement dans la vie de ses parents, et qui bouleverse tout. Il s'agit de l'accueillir, du mieux que nous pouvons, avec ses gazouillis, mais aussi avec ses pleurs et ses cris.

L'auteur de l'épître aux Hébreux nous dit : Il est devenu bien supérieur aux anges, dans la mesure même où il a reçu en héritage un nom si différent du leur. L'homme, à la suite du Christ, est-il donc supérieur aux anges, aux créatures célestes ? Les purs esprits dans le ciel, ne sont-ils pas plus grands que nous ? Il faut pourtant se rendre à l'évidence : en venant dans notre humanité,  Dieu l'a relevée, et il lui a donné une dignité incomparable. Grâce à lui, nous sommes plus grands que les anges, car il a voulu prendre notre condition mortelle. A l'heure où la tendance moderne est à la spiritualisation, à la dématérialisation, à la virtualisation, bref, à la désincarnation, à l'heure où les nouvelles technologies nous promettent de devenir « comme des dieux » grâce à l'avènement d'une singularité entre l'homme et la machine, à la rencontre hybride entre l'homme et le fruit de sa fabrication, le message de l'évangile relève – peut-être plus qu'à toute autre époque – de la contre culture. Car le christianisme n'a rien à voir non plus avec les spiritualités cosmiques à la mode qui flattent l'ego, ni avec les nouvelles « gnoses » qui promettent à leurs initiés – souvent soumis à des gourous sans scrupules – d'accéder à un niveau supérieur de connaissance en niant leur corps, pour arriver au pur esprit. Rien de nouveau sous le soleil. Toutes ces spiritualités ont déjà existé dans les débuts de l'Eglise. On les a appelées des « hérésies », car elles trahissaient le message du Christ. Elles « choisissaient » étymologiquement, certains aspects du dogme, et rejetaient les autres. Il s'agit d'une vérité partielle qui est prise de manière absolue. Certains disaient : « Jésus Christ était un homme, mais pas Dieu ». D'autres pensaient qu'il était Dieu, mais non pas homme… En réalité, il s'agit de tout tenir ensemble, et c'est bien cela la difficulté, la complexité. Si Dieu était simple à comprendre, il ne serait plus Dieu. Alors, cessons de penser que nous pouvons tout saisir, et que c'est facile. La vie chrétienne n'est pas facile. Il n'est pas commode, aujourd'hui, de se dire catholique et d'aller à la messe, même uniquement le jour de Noël. C'est ringard et démodé. Effectivement, le message de l'Evangile ne suit pas la mode ni les mouvements cycliques du monde. L'Eglise n'est pas soumise aux aléas de la doxa, ou de la pensée mondaine. D'ailleurs,  les hérésies, comme les modes, ne font que se répéter, tourner en boucle.

Frères et sœurs, la fête de Noël nous dit l'importance du corps, de la chair que nous avons tendance à rejeter, mais que Dieu a choisi de prendre, pour lui donner une noblesse infinie. Car il faut bien le dire : notre corps nous pèse. Nous préférerions être en apesanteur, comme les astronautes. Ce corps est lent, il nous fatigue. Il ne sent pas toujours très bon, il n'est pas toujours aussi beau que nous le voudrions. On se complexe de tel défaut physique, ou de tel trait de caractère. Alors, on préfère se trouver un « avatar », une double vie avec un personnage virtuel sur internet. Dans le « metavers » de Mark Zuckerberg, un univers parallèle nous est promis, qui nous permettrait d'avoir une meilleure vie que celle que nous avons. Un corps aérien, avec les yeux et les cheveux que nous pouvons choisir. Bref, un substitut, une sorte d'ersatz du « royaume des cieux ». Mais le Royaume de Dieu est bien autre chose. Il n'est pas un monde parallèle, car il commence déjà sur la terre, dans notre vie réelle qui peut se révéler pesante, mais que Dieu élève.

Alors, comment faire, finalement, avec ce corps ? Je vous propose de laisser Dieu venir vers vous, dans la prière, et de l'accueillir comme vous êtes. Si vous ne vous sentez pas dignes, c'est bien normal. Personne ne l'est, devant lui ! Faites-lui juste une petite place dans l'étable, au milieu de Marie et Joseph, des animaux et des bergers. Il lui faut juste un peu de paille, ça lui suffit. Il n'a pas besoin de grand-chose : seulement de notre pauvreté, de notre misère. Non seulement, il s'en contente, mais en plus il est heureux de la partager avec nous. Lui qui est Dieu et qui a tout en lui, il a besoin de notre manque, il a besoin de notre fragilité. N'ayons pas peur de lui accorder l'hospitalité, malgré notre peu de moyens. Si nous trouvons que notre demeure est trop obscure, rappelons-nous qu'il est la Lumière brillant dans les ténèbres. Notre obscurité, si grande soit-elle, ne peut pas l'empêcher de nous illuminer. Sa naissance est comme un feu près duquel nous nous réchauffons, car nous avons froid sans lui. Même si nous pensons ne rien avoir besoin, Dieu nous révèles que nous sommes, au plus profond de nous, des êtres de désir, assoiffés d'être aimés. Aimés par lui, et par nos frères en humanité. Seigneur, viens combler notre attente, car tu es le Dieu-avec-nous, l'Emmanuel. Amen.

Fr. Columba