3° Dimanche de Pâques (C) Jn 21, 1-19

La complexité de composition et d'interprétation de l'évangile que nous venons d'accueillir nous montre, frères et sœurs, que l'évangéliste saint Jean a très tôt pris la mesure du danger que pouvaient représenter les divisions chez les premiers chrétiens, déjà, les luttes entre les toutes premières communautés chrétiennes de Palestine et surtout les conceptions très diverses voire concurrentes de mise en œuvre concrète de l'évangélisation.

Ces véritables oppositions pouvaient avoir des conséquences gravissimes quant à la pertinence même de l'annonce de la Bonne Nouvelle du Christ dès les premières décennies de l'Eglise au cours de la deuxième moitié du 1er siècle.

Précisément, l'enjeu était de taille :
quels moyens, quelles méthodes fallait-il adopter pour aller à la rencontre de toutes ces populations païennes pour leur annoncer Jésus Christ, pour leur proposer la foi chrétienne, pour les inviter à entrer dans une démarche progressive de conversion ?

Nous sentons bien, frères et sœurs, que 2000 ans plus tard, tout au moins en Occident et plus particulièrement en France, le même questionnement se pose avec une problématique similaire.
En effet, ne sommes-nous pas, trop souvent, des témoins impuissants de nombreux tâtonnements en matière de pastorale d'évangélisation, et ce, depuis des dizaines d'années ?
Et pourtant !

Frères et sœurs, avez-vous pratiqué l'évangélisation de rue ? Non ?
C'est quelque chose de très particulier, en effet.
Vous êtes là, au milieu de la rue. Vous abordez les passants. Vous leur dites, en substance : «Jésus Christ vous aime !» Si c'est en hiver, ils reviennent du marché.
Si c'est en été, ils reviennent de la plage.
Et, dans les deux cas, soyons-en sûrs, ils n'ont pas du tout envie qu'un parfait zozo leur barre le chemin en leur parlant de Jésus.

En vérité, personne n'a envie qu'un parfait zozo vienne l'importuner en parlant du Christ.
Reconnaissons-le Jésus n'est pas un sujet facile.
Il est trop naïf pour certains, trop incroyable pour d'autres, ridicule pour beaucoup.
Et, de fait, l'évangélisation de rue nous expose peut-être surtout au ridicule.

Et pas seulement l'évangélisation de rue.
Essayons donc d'évangéliser une classe de lycéens,
ou de faire de la publicité pour l'aumônerie des étudiants dans les couloirs d'une faculté de l'université,
ou même de parler de notre foi à une connaissance, à un copain, à un ami qui n'est pas chrétien !
Un peu gêné, avec du rouge sur les pommettes, nous balbutions quelques fragments de conviction tout en nous demandant quelle mouche nous a piqué d'amener la conversation sur ce sujet…
Eh bien ! Frères et sœurs, la mouche, c'est Jésus lui-même.
C'est l'Esprit du Christ Jésus, l'Esprit saint dans notre cœur.

Heureusement, l'évangélisation, l'effort de parler de notre foi à des inconnus ou à des proches a aussi de beaux résultats.
Certains, malgré tout, écoutent.
Certains sont tout de même touchés.
Certains sont même bouleversés.
Un simple souvenir personnel :
avoir parlé de Jésus avec un skinhead dans les rues de Toulouse, certes, à une heure peu monastique.
Vingt ans, néo-païen autoproclamé, crête d'iroquois.
Au bout d'une bonne heure et demie, il m'a demandé comment on faisait pour prier. Il ne se moquait plus de moi. ! Il était un peu comme désarmé.

Annoncer Jésus, c'est, sans doute, risquer la rebuffade, l'indifférence, le ridicule et parfois bien pire,
mais c'est aussi,
si nous nous accrochons, si nous faisons confiance,
si nous gardons notre bonne humeur,
c'est également connaître la joie d'un sourire, d'une garde qui se baisse, d'un cœur qui s'ouvre.
Quelquefois, bien après que nous aurons parlé,
et alors nous n'en saurons rien et tant mieux !

Frères et sœurs, ce qui touche les cœurs n'est pas en premier lieu l'ingéniosité de notre parole, de nos mots, de nos raisonnements même.
D'abord, nous ne sommes pas tous doués pour parler. Ensuite, les mots ne sont que des mots.
Leur puissance est limitée, surtout dans notre société si bavarde, trop bavarde.

Ce qui touche surtout les cœurs, c'est notre attitude à-priori bienveillante, notre sourire.
Notre indifférence au qu'en-dira-t-on.
Notre persévérance assurément un peu naïve.
Notre gentillesse obstinée.
C'est un geste amical, un simple signe, peut-être une croix portée au cou, un livre de prière oublié sur une table.
Ce qui touche les cœurs, c'est notre espérance et notre conviction indéracinables qu'au-dessus de tout,
au-dessus des idées et des lois, au-dessus des désirs et des colères, au-dessus de la mort même, il y a l'amour, l'Amour de Dieu qui est comme distillé par notre attention à l'égard de notre interlocuteur.

«Annoncez», nous dit le Christ.
«Soyez toujours joyeux», nous précise le livre des Actes des Apôtres.
«Suis-moi», dit Jésus à Pierre.
«Sois le berger de mes brebis.»
En famille ou dans la rue, avec nos amis, en classe, au tra­vail, sur la plage, partout.
Or, c'est vrai notre monde n'a pas très envie d'entendre parler de Jésus, nous le savons bien !
Cependant le monde a soif d'écoute, a soif de sourire, a soif de bonne humeur, a soif d'amour.
Le monde a soif de notre écoute, de notre sourire, de notre bonne humeur, de notre amour, c'est-à-dire de l'amour que Jésus a mis dans notre cœur.
Allons-y ! N'écoutons pas notre peur !
Alors, allons-y, soyons joyeux comme les Apôtres !
Et le feu que Jésus a précisément mis dans notre cœur embrasera le monde, à commencer par ceux et celles qui nous sont les plus proches
Amen ! Alléluia !

Fr. Benoît-Marie