19° Dimanche du TO*C Lc 12, 32-48

Frères et sœurs, que pensez-vous de ces histoires de serviteurs attendant leur maître au milieu de la nuit ? À part quelques baby-sitters, est-ce que cette situation nous ressemble, est-ce la situation d'aujourd'hui pour les chrétiens ?

Il semble que Jésus a souvent brodé sur ce thème, le reprenant avec de multiples variations dans les évangiles.

Nous avons peut-être du mal à nous projeter comme domestiques dans une situation très datée, celle d'une grosse propriété antique avec toute une armada d'esclaves, de serviteurs, de gardiens, d'officiers et de gérants. Ça marchait encore au grand siècle et même à la campagne jusqu'à la moitié du XX° siècle, mais aujourd'hui, en France, c'est fini.

Nous nous voyons, nous, comme très autonomes, avec notre salaire ou notre retraite, notre sacrosainte liberté de faire ce que nous voulons où nous voulons, indépendants, posant nos congés et nos RTT, et basta, que l'entreprise se débrouille sans moi ! Nous ne sommes pas des esclaves, et n'avons aucun goût pour le service à toute heure.

Or, regardant les évangiles, les paraboles, le cadre de vie que montrent les textes, il apparaît que c'est là une situation que Jésus privilégie : celle où chacun, dans un grand ensemble très contraignant, est doté d'une petite responsabilité. Pas forcément grand-chose, mais toujours une responsabilité.

Peut-être est-ce là, au delà de l'entreprise, la description de la société tout entière, du système.

Dans le texte évangélique, le vocabulaire du service est très riche, pas très facile à rendre dans nos traductions : on va de l'esclave, du garçon de ferme ou de course, de la petite servante qui n'a peut-être que treize ou quinze ans, du journalier payé à la tâche jusqu'à l'intendant, le gérant, le responsable général de la propriété, en passant par de multiples degrés d'employés subalternes. Un terme de notre évangile dit assez bien la condition commune évoquée par Jésus : sun-doulos ; ce n'est pas facile à rendre, littéralement « serviteur-avec, co-esclave », compagnon de service ou de travail, collègue, confrère…

C'est une seconde clé très importante, je crois, de ce qui fait un chrétien, aujourd'hui comme il y a 2000 ans : à savoir un homme, une femme qui détient sa responsabilité, petite ou grande, EN LIEN AVEC d'autres personnes, un responsable qui se sait co-responsable.

Alors, j'enfonce une porte ouverte ? Nous le savons très bien ?

C'est comme dans l'évangile, alors, où Jésus dit à ses disciples « vous le savez très bien, si le maître de maison… ». Jésus fait souvent cela, il nous révèle ce que nous savons très bien, il appuie simplement un peu plus là où c'est plus important.

Cette double condition du chrétien, c'est vraiment très important, fondamental. Le chrétien est quelqu'un qui se sait RESPONSABLE dans le monde où il vit, et qui se sait EN LIEN AVEC d'autres personnes également responsables. Derrière ces réalités, responsable-avec, il y a de grandes avancées sociales : les associations, le syndicalisme, Rachel Kéké et les employées ou les esclaves de l'hôtel Ibis…

Mais n'allons pas trop vite, et n'allons pas dans le mur, le grand patron est absent, le président est en vacances, il est parti aux noces, et on ne sait pas quand il reviendra. Nous sommes dans un bateau apparemment sans pilote. Cela aussi, c'est une donnée récurrente dans les paraboles : le maître s'en va, il est parti, mais il va revenir. Pas de panique : il a confié toutes les clés à ses collaborateurs.

Le chrétien qui vit cette absence, c'est celui qui vit de la foi, qui vit dans la foi, qui ne se fait pas d'illusion sur la possibilité d'une intervention immédiate, énergique et définitive venue d'en-haut, du patron, de la direction, du père-abbé, du chef, du ciel… Non, le chrétien est quelqu'un qui se retrousse les manches en croyant que sa petite responsabilité à lui aujourd'hui engage le réel pour de bon, et le réel de tous, pas seulement le sien, sur de bons rails ou vers une catastrophe.

Frères et sœurs, pour moi, c'est déjà cela la bonne nouvelle de Jésus : ma foi chrétienne n'est en rien un désengagement du monde. Au contraire, elle me rend encore plus responsable, encore plus conscient d'avoir quelque chose à faire avec d'autres, aujourd'hui, qui que je sois, où que je sois. L'attente chrétienne est la plus active qui soit. Amen.

P. David