Merci de vous unir à notre action de grâce.
Frère David et les frères de la Communauté
de l’Abbaye d’En Calcat
Homélie
Frères, cet évangile est le premier acte d’une trilogie ; dans ce ch. 15 de saint Luc, Jésus raconte trois histoires brodées sur un même canevas : la brebis perdue, la drachme perdue, le fils perdu (« l’enfant prodigue »). A chaque fois, ce qui était perdu va être retrouvé, et cela déclenche de grandes réjouissances, une fête, comme aujourd’hui pour nous.
En rassemblant et en ordonnant ces trois paraboles, il me semble que l’évangéliste a voulu nous dire quelque chose d’important, de précieux pour s’approcher du cœur de Dieu.
Nous n’avons entendu que la première, mais les deux autres sont suffisamment connues pour que nous les évoquions toutes trois ensemble.
Un premier registre différencie les trois paraboles et les relie en même temps : les NOMBRES.
D’abord une brebis sur cent : un pour cent.
Puis une drachme sur dix : dix pour cent.
Enfin un fils contre un autre fils, un sur deux : cinquante pour cent.
A moins que…
A moins que ce soit même cent pour cent ?
…puisque, dans cette dernière histoire, en fait, le père devra sortir une seconde fois de sa maison, quand l’autre fils à son tour refusera de rentrer pour la fête ; celui qui se croyait plus juste est donc perdu à son tour, tous sont un jour perdus, cent pour cent de perdus ! La perdition est donc notre condition commune !
Second registre : les ACTEURS !
Et d’abord L’EGARE : une brebis, une drachme, un fils…
Un animal, un objet, et un être humain.
Au milieu des trois, l’objet, une pièce de monnaie, objet de valeur, mais inerte, inanimé, totalement passif, sans conscience.
Premier des trois, l’animal, une bête, douée de vie, certes, capable d’entendre, de voir, de chercher même le troupeau et la voix du berger, mais plutôt du genre stupide, ni un renard, ni un chat : un mouton.
En finale, un être humain ! Ce troisième récit est beaucoup beaucoup plus long, la conscience est fine, développée, avisée, pour le mal comme pour le bien, le fils réfléchit, prend des décisions, fait des démarches, c’est lui-même d’ailleurs qui revient…
Tout un registre donc de plus ou moins grande activité, de plus ou moins grande conscience, réflexion, volonté, liberté, de plus ou moins grande humanité.
En face de l’égaré, il y a enfin et surtout ces TROIS qui se réjouissent et appellent à se réjouir : le premier semble un berger mais Jésus ne le désigne pas ainsi, il l’appelle seulement « l’un d’entre vous, un homme de chez vous », et puis une femme, et puis un père : trois figures de Celui qui nous cherche, qui nous désire.
Le dernier, le père, a déjà tout donné, et il se contente de nous attendre, il ne s’aventure pas au loin dans les pays mal-famés mais il guette notre retour, sur le seuil, il nous cherche des yeux. Ainsi fait le Père des cieux, « du haut des cieux, il regarde, il voit tous les hommes », mais il ne voyage pas loin de chez lui.
Le berger, lui, est parti à l’aventure ; nous y reconnaissons Jésus, « le bon pasteur, celui qui risque sa vie pour ses brebis », mais c’est surtout « l’un d’entre nous », il s’approche tout près, il nous met sur ses épaules ; à partir du moment où il nous a retrouvés, il s’occupe de tout : retour en première classe. C’est vraiment lui qui nous sauve !
Entre les deux, la femme : avant de balayer partout, elle « allume une lampe », car ce qu’elle cherche est brillant, capable de refléter la lumière. Cette lampe, n’est-ce pas l’Esprit saint qui vient sur nous, qui nous illumine et nous révèle à nous-mêmes, qui fait briller l’image divine gravée dans notre humanité ? Cette femme qui donne des coups de balai, n’est-ce pas l’Eglise ?
Il me semble que Jésus a décrit là trois modes, trois voies du retour à Dieu, trois façons de s’accorder au cœur de Dieu.
Aujourd’hui, frère Jean-Baptiste va prononcer le « suscipe » de sa profession, une prière adressée à Dieu : « reçois-moi, prends-moi ! ». Comment ne pas penser à la prière du prodigue : « prends-moi à ton service ! ». Cette profession est la part très active de quelqu’un qui a réfléchi, qui a décidé librement, qui a peiné pour son retour.
Mais il y a une autre expérience à faire du cœur de Dieu : celle de la proximité de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, « l’un d’entre nous », sa façon de nous porter, de nous parler, de nous prendre tel quel, blessé, sali, mal en point, sa façon de nous serrer contre lui, sans attendre que nous ayons retrouvé ni la santé, ni la force, ni la propreté. Expérimenter la tendresse de Dieu qui, dans son impatience, ne se contente pas d’attendre mais qui vient le premier !
Et puis, il y a ces moments d’inertie, d’abandon et d’oubli de la drachme perdue, cachée sous le buffet, passive, incapable de bouger, attendant qu’on l’éclaire, qu’on la mette en lumière, qu’on lui révèle sa valeur… Nous les connaissons tous, ces moments-là ! La lumière viendra et aussi le coup de balai salvateur, plus ou moins énergique, et pour nous, moines, la communauté en est souvent l’instrument, à l’heure favorable.
Frère Jean-Baptiste, reçois donc aujourd’hui cette promesse qui vient du cœur de Dieu : il t’attend, il te cherche, et déjà il t’éclaire ; rappelle-toi qu’ il a posé sur toi son sceau, qui est L’Esprit Saint agissant en toi, comme « un éclat de vrai désir » qui te tire vers sa lumière. Amen !
Frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE