Rencontre interreligieuse Bouddhisme tibétain-Christianisme Rencontre du 2 juin 2025 à Albi

"Il n'y a qu'un personnage qui pourrait donner l'idée de le rapprocher de Jésus, c'est le Bouddha. Cet homme constitue un grand mystère. Il vit dans une liberté effrayante, presque surhumaine, cependant qu'il est d'une bonté puissante comme une force cosmique. Peut-être le Bouddha est-il le dernier génie religieux avec lequel le christianisme aura à s'expliquer." Romano Guardini (1885-1968)

Depuis de nombreuses années, la communauté bénédictine d'En Calcat et la communauté bouddhiste tibétaine de Nalanda à Lavaur se visitent dans le cadre du dialogue interreligieux et cultivent des liens d'amitié et de fraternité. Dans le cadre de cette relation, le 2 juin dernier, une rencontre interreligieuse s'est déroulée à Albi à la salle du Pigné entre Mgr Jean-Louis Balsa, P. Pierre-André Vigouroux, recteur de la Cathédrale d'Albi, des frères d'En Calcat et des moines et moniales de Nalanda. Cette journée s'est placée sous le signe de la fraternité dans les différences, de l'émulation spirituelle et de la fécondité des cœurs dans nos Voies respectives bouddhiste et chrétienne

La matinée fut réservée à deux conférences suivies d'échanges et de questions. Un moine bouddhiste, Tenzin Shérab donna la première conférence « La compassion dans la voie bouddhiste ». Dans une synthèse remarquable de clarté, il a présenté les points essentiels du Bouddhisme : la compassion dans les 4 Pensées incommensurables, la Compassion, l'Amour, la Joie, l'Équanimité. La voie commence par prendre conscience de la souffrance (la sienne et celle des autres), l'origine de la souffrance (ignorance, saisie d'un soi, égocentrisme), la notion de continuum de conscience d'instant en instant, sans début ni fin, la notion de la nature ultime de l'esprit qui a le potentiel de l'Éveil qui est voilée par l'ignorance, ce qui crée la réalité conventionnelle : le samsara (cycle de naissance et de mort). L'ignorance crée du Karma qui projette les hommes de vie en vie dans le samsara. D'où l'essentiel de l'Enseignement du Bouddha : éviter de créer du karma négatif, créer du karma négatif, prendre soin des autres, la pensée d'atteindre l'Éveil pour être bénéfique aux autres (Bodhicitta) et pour cela développer la compassion (équanimité envers amis, ennemis, indifférents, reconnaisance de la bonté et la rendre, le grand amour, compassion pour tous les êtres, pure intention supérieure, esprit d'éveil. La Bodhicitta d'aspiration, puis celle d'engagement amènent à cultiver certaines qualités : générosité, éthique, patience, effort joyeux, concentration, sagesse, méthode, force, prière, sagesse transcendante. La méthode et la sagesse sont les deux ailes de la Voie à déployer en même temps.

Fr. Jean-Luc, moine d'En Calcat donna la deuxième conférence pour présenter la foi chrétienne : « De la révélation de l'Amour à la Foi...de la Foi à l'amour » En voici un aperçu :

 « Dans l'Évangile, pour Jésus, la foi (qui sauve) n'est pas d'abord un contenu, mais une attitude, celle de croire que Jésus est l'approchable quelle que soit la situation religieuse ou morale de l'homme ! A partir de l'Évangile, il serait même possible de dire que plus l'homme est éloigné de Dieu, plus grande sera sa foi s'il accueille son amour !

Le salut, ce n'est donc pas tant l'amour de l'homme pour son prochain que l'acceptation profonde et libre de l'Amour premier, personnel et inconditionnel de Jésus-Christ pour l'homme. La foi de l'homme en l'Amour du Christ ouvre à la liberté et donne la capacité d'aimer à son tour, ou encore la « foi » d'être aimé par le Christ sauve l'homme et le rend capable d'aimer. Il en va ainsi de l'amour de l'homme par rapport à l'amour de Dieu comme de la lumière par rapport au feu. C'est le feu (l'amour du Christ) qui produit la lumière (l'amour de l'homme), ce n'est pas la lumière qui produit le feu ; la lumière est la conséquence du feu !

Alors que Jésus enseigne dans une maison pleine de pharisiens et de docteurs de la Loi, personne ne peut entrer tant ils sont nombreux. Des jeunes gens veulent pourtant conduire leur ami paralysé aux pieds de Jésus, persuadés qu'il peut quelque chose pour eux ; ils sont obligés de crever le toit de la maison pour le descendre à ses pieds ! Cette audace et cette confiance de ces hommes qui n'ont pas ouverts la bouche est « la foi » que reconnaît Jésus nous dit saint Luc (5, 20) ; non pas un Credo, mais une confiance en Lui. Nous pourrions encore parler dans le même sens de la foi, entendue comme confiance en l'Amour du Christ, à propos de l'hémorroïsse en Lc 8, 48, du lépreux samaritain (Lc 17, 11-19), ou de l'aveugle de Jéricho (Lc 18, 42) …

Dans le contexte du dialogue avec nos frères des autres religions, nous découvrons (s'il en était besoin) que les chrétiens n'ont pas l'apanage de l'amour. Celui-ci peut même parfois être vécu avec plus d'intensité dans d'autres sphères religieuses et culturelles. Le chrétien saura reconnaître dans le témoignage de cet amour, le fruit de l'expérience d'avoir rencontré l'amour de Dieu, quel que soit le nom qu'on lui donne, ou encore d'un amour humain exceptionnel, parce que l'authenticité de l'expérience de l'AMOUR reçu se donne à voir dans l'amour vécu. En conclusion, que nos frères croyants des autres religions nous pardonnent enfin cette audace, car nous ne pourrons pas – en tant que chrétiens – considérer leur amour comme simplement « naturel », alors que le nôtre serait « surnaturel » !

Pour nous, ceux qui ne connaissent pas le Christ et son Amour, mais qui croient en l'Amour de Dieu ou en l'amour d'un être cher, participent, en aimant à leur tour, à la fécondité de l'AMOUR du Christ pour l'humanité, à son mystère pascal ! »

Thoubtèn Shérab et Tenzin Shérab nous laissent ce témoignage : « Le plus important lors de cette rencontre a été l'écoute sincère de l'autre. Chacun de nous a essayé de comprendre l'expression de nos parcours spirituels respectifs, l'expression de nos différences mais aussi celle de nos similitudes. Ce que nous avons en commun ? La certitude de l'amour du Christ comme celui du Bouddha et notre volonté de dépasser les limites de l'ego pour être au service des autres. Cette  journée s'inscrit dans une démarche de nourrir la relation fraternelle entre moines engagés dans des  voies spirituelles différentes . Au fil des rencontres cette relation gagne en profondeur et fluidité. Nous pouvons vraiment écouter la parole  de « l'autre » avec une attention qui nous permet de goûter à son expérience et une confiance dans l'authenticité de nos Traditions différentes qui nous permet d'entrer dans un dialogue direct, simple et harmonieux. L'image qui vient est celle de musiciens qui se retrouvent et se réjouissent de faire résonner leurs instruments différents , avec des temps de solos aux saveurs diverses et des temps où l'expression devient concertante et fait vibrer les cœurs et les esprits à l'unisson, les instruments s'accordant sur l'essentiel : la qualité et la force de la musique jaillissante dans une créativité qui renouvelle notre vision et notre présence . »

Après les deux conférences, un bon temps d'échanges, de questions, de réactions nous a permis d'approfondir notre rencontre et de mieux nous connaître. La présence de Mgr Jean-Louis Balsa et sa participation ont été fort appréciées. Nous avons partagé un repas et la rencontre s'est prolongée et achevée par une belle visite guidée de la Cathédrale par son Recteur, P. Pierre-André.

fr Nathanaël