Sacré-Cœur de Jésus (C) Lc 15, 3-7

L'amour nous fait faire des choses folles pour l'être aimé. Il donne des ailes, dit-on. Dieu agit de la même façon ; ou plutôt, c'est nous qui agissons comme lui, car nous sommes créés à son image. Oui, Dieu est inconscient de lui-même, toujours tourné vers sa créature. Il ne regarde pas le danger ni le risque. Il va au-devant de nous, et il fait tout pour nous ramener, comme le berger qui part à la recherche de sa brebis perdue. Jésus donne sa vie, non pour les justes, qui n'ont pas besoin de conversion, mais pour les pécheurs que nous sommes. Quoi de plus fou que cela ?

La fête du Sacré-Cœur de Jésus nous dit d'une façon unique que l'amour de Dieu est le moteur qui fait bouger le monde, qui l'anime de l'intérieur. Il est au centre, au cœur de nos vies. Sans lui, rien ne tourne, rien ne va plus. Nous avons besoin de sentir que nous sommes aimés et capables d'aimer. Sinon, notre vie n'a plus aucun sens. L'amour de Dieu, révélé dans le Cœur de Jésus, est le cœur du monde. C'est en lui que tout converge, se rassemble et s'unifie. Il est l'Alpha et l'Oméga. Ce n'est pas d'un tête-à-tête, ni d'un corps-à-corps : c'est d'un cœur-à-cœur que nous avons besoin, dit Pierre Teilhard de Chardin. Dans ces conditions, dit-il, plus je scrute la question fondamentale de l'avenir de la Terre, plus je crois apercevoir que le principe générateur de son unification n'est finalement à rechercher, ni dans la seule contemplation d'une même Vérité, ni dans le seul désir suscité par Quelque chose, mais dans l'attrait commun exercé par un même Quelqu'un. (…) Il ne reste au bout du compte, tout bien pesé, que la rencontre, centre à centre, des unités humaines, telle que peut la réaliser un amour mutuel commun (« Etre plus », p.128).

Dans « Le cœur du monde », H.U. von Balthasar nous rappelle que le cœur est sans défense, parce qu'il est la source, c'est pourquoi tout ennemi vise au cœur. Il ne pense pas au combat, mais il reste éveillé, alors même tous les autres membres sommeillent, comme les disciples autour de Jésus, à l'heure de la tentation. Le cœur de Dieu est tourné vers l'être aimé ; et en cela, il perd la raison. Il ne sait pas pourquoi il bat, pourquoi il aime, mais il continue de battre, s'ouvrant et se refermant, allant jusqu'à aimer ses ennemis, débordant toujours, ne faisant plus la distinction entre les justes et les impies. Bien que sans défense, le cœur de Jésus ne cesse de battre, de combattre pour tous, les bons comme les méchants. En son centre, se rencontrent l'être et le non-être, dit Balthasar. A lui seul est confié le nœud comme la solution de l'énigme. Sur son axe,  se croisent les poutres maîtresses. Tout abîme est dominé par l'arc de son amour. Toute contradiction se tait devant la parole de son sacrifice. Ce cœur particulier est aussi bien l'amour de Dieu devenu homme que l'amour de l'homme devenu Dieu (p.51).

Frères et sœurs, le Christ est mort pour les impies que nous étions, dit saint Paul aux Romains. Il ne faut donc pas que nous attendions d'être justes et parfaits pour nous laisser aimer par lui. C'est précisément parce que nous sommes pécheurs que nous pouvons comprendre l'amour de Dieu. Les publicains et les prostituées repentis, ainsi que le Bon Larron, sont les premiers à être accueillis dans le Royaume. Cela, nous avons bien du mal à le comprendre, car nous sommes habitués – peut-être à cause de notre éducation – à mériter l'amour, y compris avec Dieu. « Si je fais le bien, alors je serai aimé ». Comme à l'école, j'aurai un « bon point » si j'agis avec vertu. Oui, nous avons malheureusement une vision utilitariste et comptable de l'amour, qui nous colle à la peau depuis notre tendre enfance ! Avec Dieu, mais aussi avec le prochain, il nous faut donc changer de logiciel, en évacuant de notre tête cette image d'un Dieu qui observe nos moindres actions, afin de les mettre sur son registre et nous les présenter à l'heure de notre mort. Ce dieu pervers n'existe pas, il est seulement une prolongation de notre surmoi et de notre fantasme d'enfant qui s'imagine être observé par son père.

Alors, dans notre prière, essayons de nous laisser aimer par Dieu, malgré notre péché. Dieu aime les hommes, mais il n'aime pas le péché, parce qu'il sait que nous en souffrons. Car le péché nous rend triste et amer, il nous détourne des autres, de Dieu et de nous-mêmes. Jésus a de la joie à nous voir nous convertir, à nous tourner de nouveau vers son Cœur qui est la source de la vie. En lui seul, nous pouvons vivre et nous unifier. Puisons à cette nourriture de l'amour du Christ, afin de reprendre la route, confiants que c'est en lui que nous pourrons avancer, assurés et stabilisés, centrés en lui et en son amour. Amen.

Fr. Columba