Mercredi des Cendres Mt 6,1-6.16-18

Déchirez vos cœurs, et non pas vos vêtements. L'acte de déchirer revient à ouvrir une brèche, à laisser passer le vide dans ce qui est fermé et clos. Et cela se fait souvent d'une manière violente, avec un couteau ou un outil tranchant. Pour déchirer un tissu qui résiste, il faut - si l'on n'a pas de ciseaux sous la main - utiliser nos propres « canines », nos dents de chiens ! D'autres tissus, par contre, sont tellement usés qu'ils se déchirent très facilement. Quand vous les regardez à la lumière, vous voyez qu'ils sont quasiment transparents. Ils se défont tout seuls, sans même avoir besoin de ciseaux ou de canines… Il en va de même pour nos cœurs. Quand ils sont abîmés par le temps et les épreuves, ils ressemblent au cœur de Dieu, tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d'amour.

Déchirer son vêtement, dans le peuple d'Israël, revient à prendre le deuil, à mourir. Mais cela doit se faire de l'intérieur, d'abord dans le cœur. Séparer quelque chose qui est uni, ça fait toujours mal, c'est crucifiant. Le rideau du Temple se déchire quand Jésus meurt sur la croix. Seul Dieu, en son Fils, est capable de mourir, de prendre le deuil, de se laisser user par le temps. Les hommes, eux, veulent garder leur petit bout de vie, ils s'y accrochent comme ils peuvent. Mais vient le jour où le tissu est trop vieux. Tout se déchire un jour ou l'autre pour chacun de nous. Alors, pourquoi ne pas commencer à déjà mourir, apprendre à nous laisser user, râper par la vie, à nous laisser séparer en notre cœur, à devenir cendres et poussière ?

Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite. Nos deux mains, afin d'être véritablement unies pour la prière, doivent apprendre à vivre et à agir de manière séparée quand elles pratiquent l'aumône. Elles doivent aussi laisser un espace vide entre elles, afin de pouvoir se retrouver en Dieu. Le péché nous donne l'illusion de l'unité, de la plénitude. En réalité, il nous divise de l'intérieur. Au contraire, la séparation à laquelle Dieu nous invite est créatrice d'une véritable unité. Au commencement, Dieu crée en séparant, en mettant une limite. Si nous apprenons à mettre nous aussi cette limite, cette séparation dans nos vies, alors nous agirons comme Dieu. Notre cœur pourra s'ouvrir comme le sien à ceux qui nous entourent. Il pourra être lent à la colère et plein d'amour.

La séparation de la main gauche et de la main droite nous met dans une sage ignorance. Nous ne savons pas que nous avons exercé la charité. Heureusement. C'est le secret de Dieu. Lui-même, Dieu, ne sait pas quand il fait le bien. Il ne cherche rien. Il se donne, tout simplement, et ne se regarde jamais. Le Père ne tire pas sa récompense. A son image, nous devrions donner dans la joie, avec la senteur d'un parfum !

Si la joie nous paraît étrangère, c'est peut-être parce que le péché nous a divisé, en nous faisant croire que la vie était synonyme de plaisir continu. Au contraire, en acceptant l'épreuve du désert - la séparation entre le lieu connu (l'Egypte) et celui encore inconnu (la Terre Promise) -, nous serons réconciliés avec nous-mêmes, avec notre prochain et avec Dieu. Prions le Christ, qui a ouvert et séparé sa vie pour nous comme une hostie, de nous arracher au péché qui divise, et de nous aider à nous retirer dans la pièce de notre cœur qui est le lieu de Dieu, son Père et notre Père. Amen.

F. Columba