5° Dimanche de Pâques (C) Jn 13, 31-33a.34-35

 « Je vous donne un commandement nouveau, c'est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimé, vous aussi vous devez vous aimez les uns les autres ». Magnifique commandement que celui-là. Commandement nouveau ou commandement usé et rabâché pourront dire certains tant on l'a entendu ce conseil de l'amour mutuel qui se rencontre en bien des religions et sagesses et qui était d'ailleurs conforme à l'enseignement des rabbins de l'époque de Jésus. Ce ne serait donc qu'une évidence qui nous est rappelée aujourd'hui ? Évidence si inévidente !

Est-ce si facile d'aimer ? Non ! Mais, replacer ces paroles dans tout le contexte dans lequel elles ont été prononcées nous permettra de mieux les comprendre. Les tous premiers mots de ce bref évangile nous en donne d'ailleurs le cadre, très succinctement, au risque même de ne pas y faire attention : Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle... ». Jésus ne parle donc pas de façon plaisante dans une atmosphère légère et sereine mais ses paroles s'inscrivent plutôt dans la densité du contexte tragique de la Cène, de la trahison de Judas et de la Passion qui s'annonce, bref, d'un amour qui se donne et nous rejoint jusqu'en cette extrême dimension, du pain partagé puis de la croix. Quelques versets plus haut, en ce même chapitre 13 de l'évangile de Jean, il nous est bien précisé que Jésus est bouleversé à l'approche de la trahison de Judas, bouleversé de ce que l'Amour n'est pas aimé comme le dirait la petite Thérèse. « Et les disciples se regardaient alors les uns les autres avec embarras, ne sachant pas de qui Jésus parlait ». Dans l'évangile de Matthieu, chacun des apôtres dira d'ailleurs l'un après l'autre : serait-ce moi... qui vais trahir et rejeter ton amour ? Conscience de leur fragilité, conscience du fait qu'en eux comme en chacun existe une zone d'ombre que révélera la lumière de la croix où plutôt la lumière d'un amour qui se donne jusqu'en cette douloureuse et sombre dimension mais pouvant être si porteuse d'espérance et de salut. Ne serait-ce pas en effet un lieu de retournement, de conversion que cette heureuse zone d'ombre où Judas semble malheureusement s'être perdu mais où Christ peut justement nous rejoindre comme il le fera avec un Pierre si fanfaron et qui pourtant l'aura renié, comme il le fera encore avec le bon larron en croix, comme il veut le faire avec chacun d'entre nous ? Lieu de conversion où l'on pourra découvrir qu'il serait peut-être plus facile de résister à de dures tribulations qu'accepter d'être vulnérable à un amour qui veut nous rejoindre dans une humilité déconcertante, bref, que l'une des choses les plus difficiles au monde est de se laisser aimer à la manière de l'autre, à la manière de ce Dieu Père, à la manière de ce Jésus allant jusqu'en croix pour nous donner la vie, allant jusqu'à être mis au tombeau et jusqu'à descendre aux enfers, en nos enfers.

Ainsi, commencerions-nous à mieux comprendre de quel amour il faut aimer à l'image du Père et du Fils ? Dans ce court verset d'évangile, Jean nous y invite, lui qui a enfin compris, à la lumière de la Résurrection que ce moment unique était bien l'heure de Gloire de Jésus qui révèle jusqu'où va l'amour du Père : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique ». Oui, en cette heure dramatique, parce que le Fils trahi et bientôt abandonné et persécuté, persiste à n'être qu'amour et pardon, il révèle au monde jusqu'où va l'amour déraisonnable du Père allant presque jusqu'à l'abandon du Fils... pour nous ! Et Jean nous fait aussi comprendre que ceux qui contemple ce mystère d'amour fou de Dieu devraient bien être capables d'aimer à leur tour comme Lui, chacun à sa façon.                   

Nous percevons alors mieux la cohérence de notre bref évangile du jour, les deux mouvements sont liés lorsque Jésus dit en substance : Maintenant je vais révéler au monde jusqu'où va l'amour du Père et maintenant, je vais vous donner un commandement nouveau : vous aimer de la même manière, sachant que vous en serez capables si vous puisez dans mon amour, si vous laisser l'Esprit qui habite en vos cœurs y travailler plus librement et se rendre davantage présent et actif au sein de vos communautés : « A ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, à l'amour que vous avez les uns pour les autres ». Amour aux multiples facettes qui pourra aller de l'héroïque don de soi au goutte à goutte fraternel d'une vie quotidienne et ordinaire, pouvant tour à tour être martyre et dilatation joyeuse du cœur. Dans le passage des Actes, Paul et Barnabé invitent bien les disciples à être résilients par rapports aux épreuves et autres adversités comme nous sommes invités à l'être aussi.

Nous devrions mieux comprendre aussi que cet exigeant commandement nouveau n'a rien d'un conseil pour bisounours et surtout que le : « Aimez-vous les uns les autres ne peut être détaché du : « Comme je vous ai aimé » ! Saint Charles de Foucauld aura mis le temps, après l'existence chaotique de sa jeunesse, mais à la fin il l'aura parfaitement compris ce « Comme je vous ai aimé, vous aussi aimez-vous les uns les autres ». Oui, il aura parfaitement compris que d'aimer vraiment, c'est commencer par se laisser guider par cet Esprit Saint, par s'abandonner à cet amour qui peut nous faire alors espérer contre toute espérance d'aimer comme Lui, Jésus en s'abandonnant à l'amour du Père ainsi qu'il l'écrivait dans sa prière d'abandon :

« Mon Père, je me remets entre Vos mains. (…) Pourvu que Votre volonté se fasse en moi mon Dieu. Pourvu que Votre volonté se fasse en toutes vos créatures, en tous Vos enfants, en tous ceux que Votre cœur aime, je ne désire rien d'autre mon Dieu ; je remets mon âme entre Vos mains, je Vous la donne mon Dieu, avec tout l'amour de mon cœur, parce que je Vous aime et que ce m'est un besoin d'amour de me donner, de me remettre en Vos mains sans mesure ; je me remets entre vos mains avec une infinie confiance car vous êtes mon Père ».

Dans un monde actuel si inquiet, à bien des titres, voilà donc une Bonne Nouvelle ! Confiance : « Voici (qu'Il) fait toutes choses nouvelles » !

F. Philippe-Joseph