Saint Benoît Lc 22, 24-30

Frères et sœurs, les disciples de Jésus se querellent pour des questions de rang, de place. Qui est le plus grand ? C'est bien humain ! Dans toute collectivité, - que ce soit au sein de la famille, en entreprise, et même quelquefois au monastère - on se chamaille pour se trouver une place, et la meilleure, tant qu'à faire ! Dans une famille, il peut arriver à l'aîné d'être jaloux des suivants qui bénéficient de plus d'attention de la part des parents ; celui du milieu, lui, se sent pris en étau entre le plus grand et le plus petit ; et le benjamin se retrouve au dernier rang. Aucun n'est vraiment satisfait de sa place, car il regarde celle des autres, sans voir la sienne. Souvent, nous sommes comme ces enfants, tentés de vouloir la « meilleure place ». Mais existe-t-elle vraiment ? Et si oui, où se trouve-t-elle ?

Au chapitre 63 de sa Règle, saint Benoît parle aussi du rang, de la place au monastère. Et il le faut bien, pour éviter qu'on ne reproduise le schéma familial. Ce qui compte n'est plus l'âge, mais l'entrée au monastère. Et ce rang lui-même est bouleversé si l'un des moines doit prendre une responsabilité importante, celle de l'abbé ou du cellérier par exemple. La place dans le monastère se remarque à la fois à table, mais aussi à l'eucharistie et à l'office. Autrefois, les frères sortaient en procession de la liturgie pour se retrouver de nouveau l'un à côté de l'autre au réfectoire. Si nous avons abandonné cet usage pour plus de souplesse, cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas une cohérence profonde, précisément si l'on met en rapport les deux tables du réfectoire et de l'autel à l'église. Si vous regardez par la grande porte ouverte sur la gauche, qui donne sur le cloître, vous verrez que le réfectoire est placé parallèlement à l'église, et ce n'est pas un hasard. Le service divin et le service de la table sont étroitement mêlés. La place du Christ qui sert l'humanité par le don de sa vie dans l'eucharistie se retrouve pendant le repas fraternel partagé au réfectoire, où il nous sert à table.

Alors, Jésus ne nous montre-t-il pas la meilleure place ? C'est bien souvent celle que personne ne veut, car nous pensons qu'elle passe inaperçue. On ne se sent pas vraiment mis en valeur pour ce que l'on est, un personnage soit disant « important » ! Pourtant, essayez d'en faire l'expérience, vous verrez que la place de serviteur est centrale. Rien de tel que de présenter le plateau de chocolats à des invités pour être au milieu, c'est-à-dire au cœur de la fête. Vous pouvez être sûrs qu'on va s'intéresser à vous, ou plutôt aux chocolats que vous proposez !

Oui, le Christ est au milieu de nous comme celui qui sert, qui distribue les dons infinis du Père. Ce qu'il nous offre vaut bien mieux que les meilleurs chocolats du monde. Il nous donne un trésor, celui de la Sagesse qui renverse nos logiques mondaines. Pour cela, il nous faut nous mettre à l'écoute de l'Esprit qui parle au plus intime de notre cœur. Il s'agit, comme le dit l'auteur des Proverbes, de creuser comme un chercheur de trésor, d'incliner l'oreille pour descendre toujours plus profondément dans la connaissance de Dieu. C'est là que le Seigneur nous attend, dans l'humilité qu'il a voulu pour lui-même et pour nous.

La « meilleure place », c'est celle que chacun de nous porte en profondeur, quand il accepte de renoncer aux idoles du pouvoir et de la gloire. Mon rang, c'est celui que j'ai dans le Corps du Christ qu'est l'Eglise, quand je consens à ne pas avoir de « prétentions déraisonnables », comme dit saint Paul aux Romains. C'est le don que Dieu me fait, d'une manière toute particulière en s'adressant à moi dans mon unicité, ma singularité. Oui, j'ai du prix aux yeux du Seigneur, car il m'a créé unique dans le Corps de son Fils. Cette place peut paraître dérisoire, petite, discrète, elle n'en est pas moins essentielle à l'ensemble de l'organisme. Chacun d'entre nous a vocation à être lui-même, et pas un autre. Ma « meilleure place » ne sera jamais celle du voisin, car elle a été préparée spécialement pour moi ! Voilà comment nous pouvons être unis les uns aux autres : non pas en étant dans la rivalité mimétique qui divise, mais dans l'affection fraternelle et le respect de chacun, dans le service mutuel des dons placés en nous pour le bien du Corps tout entier.

Tournons notre esprit vers le Christ qui nous montre la place de serviteur, lui qui nous donne son Corps et son Sang comme nourriture. Père, qu'ils soient Un. C'est son désir le plus cher de nous voir communier à sa vie éternelle, nous tous, ses membres réunis. Dans l'abaissement de ce service, suivons-le, lui qui est le Chemin qui mène à la Sagesse. Amen.

F. Columba