24° Dimanche du TO*B Mc 8, 27-35

Frères et sœurs, quelles lectures – au pluriel – pouvons-nous faire de cette page d'Évangile, si centrale dans l'œuvre de saint Marc ? et quel équilibre dans les différentes lectures du texte ?
La question n'est pas facile : des lectures de jadis sur la conscience que Jésus avait – ou non – de Lui-même, ont pu entraîner des lectures à rebours évacuant totalement l'expérience humaine, sensible, sous-jacente à ce récit. Précisons d'emblée que nous écartons cette question insoluble de la conscience qu'avait Jésus de Lui-même, puisque l'on n'en sait rien et que ce n'est pas le but poursuivi par les Évangiles.

Quelles lectures – au pluriel – pouvons-nous faire de cette page d'Évangile ? et quel équilibre dans les différentes lectures du texte ?
Les récits évangéliques sont des catéchèses qui n'entendent pas évacuer l'expérience humaine, sensible, qui leur a donné naissance. Cette expérience humaine, sensible, affective même, n'est pas seulement sous-jacente au récit ; elle en constitue la trame, le terreau, l'humus. Aussi, ne pas en tenir compte revient à stériliser le texte, en le réduisant à un discours, alors que c'est une vie, avec ses joies, ses tâtonnements, ses échecs, ses apprentissages douloureux et toujours recommencés ... pour les Apôtres comme pour nous ! Les textes de la Parole de Dieu ne sont pas des idées, des concepts, des choses pour la tête. Ils sont nés de l'expérience humaine de Dieu, du Christ, par des êtres de chair et de sang.

Frères et sœurs, cette page d'Évangile n'est pas un séminaire de théologie. Jésus a constitué une équipe permanente qui Le suit et travaille avec Lui à Sa mission. Il y a des liens humains forts dans cette équipe, qui vit le quotidien au coude à coude. Donc, quand Jésus pose la question : « Pour vous, qui suis-je ? », peut-il le faire indépendamment des liens humains de confiance, d'amitié, qu'il a tissé avec ces hommes qu'Il a choisi et qui Le suivent ?
De même, quand Pierre répond « Tu es le Christ », peut-il le faire en dehors de l'admiration qu'il a pour le Maître et de l'affection qu'il a pour Lui ?
Certes, l'Évangile est très sobre et ne s'étend pas sur les sentiments humains. Mais peut-on pour autant les exclure en faisant de cette page d'Évangile quelque chose de raide, de froid … de-théologique-dépourvu-de-relations-humaines-fortes ?

D'ailleurs, Pierre prend à part Jésus, le tire à part comme dit la Traduction Œcuménique de la Bible. Un peu comme l'entourage d'un mourant essaie de retenir celui qui part, au nom de l'affection. Trop d'admiration pour le Maître nuit à Sa liberté, d'où la réplique plutôt sèche de Jésus.
Ainsi, sans dénier l'humain, mais en en restant pas au registre affectif de la confiance déçue, il nous faut nous hausser au plan de Dieu, du Père.
Il s'agit que nos pensées, nos pensées humaines – et elles le sont nécessairement et le resteront – que nos pensées humaines s'imprègnent au maximum de celles de Dieu : « Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ».

A cet effet, regardons de très près la fin de notre page d'Évangile. Pierre prend à part Jésus et le place en position de le voir, lui seul, puisque juste après Jésus se retourne et voit les disciples. Pierre fait à Jésus de vifs reproches, en tête-à-tête. Jésus se retourne, voit les disciples et interpelle vivement Pierre. Pourquoi cela ? Pourquoi ces reproches en « voyant ses disciples ? », et cela d'autant plus que cette mention est propre à Marc.
Ce que dit Pierre est grave sur un plan individuel, de personne à personne, mais plus grave encore vis-à-vis des disciples, vis-à-vis de l'Église. A qui l'on donne davantage, on demande davantage. Alors Jésus rebondit sur l'incident en « appelant la foule avec ses disciples » pour les exhorter tous à Sa logique : « Si quelqu'un veut marcher à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera ».

Regardons de nouveau de très près la fin de notre page d'Évangile et nouons la gerbe.
Pierre déclare : « Tu es le Christ ». Jésus leur parle du Fils de l'homme qui va souffrir et mourir. Jésus joint en Sa personne les deux figures du Christ – c'est-à-dire du Messie – et du Fils de l'homme, ce qui est impensable dans le judaïsme de l'époque, où le Messie est un être exceptionnel, hors du commun.
Jésus noue Messie et Fils de l'homme en Sa personne, en Son humanité. Et tout cela dans l'homme attachant qu'Il est, qui a choisi ses disciples, qui les aime et qu'ils admirent. On comprend la difficulté de Pierre de tout tenir ensemble du premier coup !

Frères et sœurs, nous sommes à un carrefour de l'Évangile de Marc. Jésus indique le chemin pour la suite, d'où sa fermeté, sa rudesse même. Il s'agit de ne pas L'empêcher d'être ce Messie-Fils de l'homme, même au nom d'une amitié profonde, d'une admiration. Et il s'agit de Le suivre sur Son chemin. En acceptant que Jésus se révèle différent de nos attentes déçues ; en acceptant d'entrer de tout nous-mêmes dans Son mystère.
En célébrant l'Eucharistie, nous renouvelons notre désir de vivre ainsi du Christ au quotidien. Et nous recevons, dans la Parole et le Pain rompu, la force pour le vivre vraiment.

Fr. Jean-Jacques