11° Dimanche du TO*B Mc 4, 26-34
Jésus leur annonçait la Parole dans la mesure où ils étaient capables de la comprendre et pour ma part, j'ai commencé à mieux comprendre l'évangile de ce dimanche grâce aux moineaux de notre cloître se réfugiant dans les grands ifs, j'y reviendrai. Jésus ne leur disait donc rien sans employer de paraboles et aujourd'hui pour nous tous, pour chacun et chacune d'entre nous il n'en irait peut-être pas autrement avec ces deux petites paraboles aux accents si bucoliques, si tendance écologique mais qui vont nous entraîner beaucoup plus loin en nous disant déjà quelque chose d'essentiel sur ce Règne de Dieu, sur cet univers de Dieu, sur cet écosystème de Dieu dans lequel Jésus souhaite nous entraîner, nous voir entrer en toute liberté et discernement. Deux petites paraboles qui à leur façon pourraient bien nous rejoindre en notre incarnation, en notre quotidien dans le déjà-là d'une maison commune à respecter, à habiter fraternellement comme le rappelle si souvent notre pape François.
Et pour la première, sur le grain qui germe, sur la plante qui pousserait indépendamment de la volonté du cultivateur, elle pourrait bien nous faire percevoir quelque chose d'un salutaire lâcher-prise par rapport à une volonté de contrôle absolu de la réalité telle qu'on en rencontre en certaines dystopies voire même à notre époque par certains aspects. Un lâcher-prise libérant qui s'accommode fort bien d'un accompagnement, d'un soin à ce qui croît d'abord dans la fragilité, et cela dans une attention, notamment au temps, aux signes des temps si chers au saint pape Jean XXIII. Car en cette petite parabole, le personnage principal serait peut-être bien le temps qui oblige à se mettre à son rythme ; le temps qui commande la patience et le discernement quand le temps favorable est venu. Et s'adapter au rythme de l'autre avec ses lenteurs ou ses excès pourra parfois être une belle ascèse, avec l'autre mais aussi, par lui, avec le Tout-Autre, ce Dieu vivant si surprenant dont la vie et l'amour ne cesse de vouloir nous rattraper. Alors il faudra être patient et attentif à d'imperceptibles signes, à très peu de chose comme cette minuscule graine de moutarde qui nous ferait bien comprendre qu'à partir de trois fois rien tout peut arriver mais aussi que nous ne sommes pas dans un monde de royaume magique où tout arrive par enchantement, dans l'immédiateté, sans la densité d'une médiation.
Si l'évangéliste Marc souligne aujourd'hui le contraste entre l'image du début, la petite graine, et celle de la fin, le grand arbuste, il semble bien qu'il insiste cependant moins sur l'aboutissement grandiose que sur la modestie des débuts, là où nous sommes, là où nous en sommes dans un concret qui pourra nous sembler parfois opaque. Oui, l'histoire de cette minuscule graine devrait nous permettre de mieux comprendre comment nous situer, nous inscrire dans la dynamique d'un univers en croissance, de ce que Jésus appelle le Règne de Dieu. Et si nous avons du mal à comprendre, rien de plus normal semble nous dire aujourd'hui saint Paul : nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision et donc, de façon dynamique dans une direction qui n'aboutit pas au néant, à l'absurde. Comme l'a écrit à ce sujet un bon auteur contemporain[1] : « Le règne de Dieu est un processus bien plus qu'un état, une dynamique qui se développe de façon presqu'insensible et pourtant incessante ». Commentant cet évangile, saint Grégoire le grand, au VIe siècle, expliquait bien et avec une grande élégance que dans la petite graine c'est déjà tout l'arbre avec son bois, sa ramure et ses fruits qui y est déjà caché et par-delà, ce sont déjà d'autres semences, d'autres graines, promesses d'autres arbres, si tant est que lesdites graines se trouvent en terrain favorable hors de l'étouffement des ronces ou de la voracité des oiseaux qui sans vergogne vont s'abriter dans l'arbre issu d'une graine qui leur aura échappée ; ce même arbre qui, sans rancune va donc accueillir ces oiseaux qui auraient pu manger la graine dont il est issu. J'y pense parfois en entendant les sympathiques et impertinents moineaux du cloître ! Et l'on découvrirait alors que ce Règne de Dieu est accueillant, qu'il est accueil inconditionnel pour ceux qui le cherchent chacun selon son espèce. De toute part, l'on peut s'y rendre librement et commencer à y faire son nid sans s'y sentir prisonnier, si tant est qu'on le désire un tant soit peu. Et si on ne le désire pas vraiment et que l'on n'en ait rien à faire ? Au moins en chacun, en chacune la graine est là toute prête à germer sans qu'on s'y attende forcément. Si tel est le cas, laissons-la croître sans crainte de l'inconnu du résultat, laissons-la nous étonner, nous émerveiller, nous déconcerter. Oui, le Règne de Dieu peut sortir tout entier de germes minuscules présents dans nos vies, dans de petits voire maladroits gestes d'accueil, dans ces micro-réalisations qui étaient si chères à Jean Rhodain, le fondateur du Secours catholique. Oui, par-delà l'inquiétude des temps actuels, osons cheminer non dans la claire vision mais avec joie et foi que ces infimes semences sauront germer et croître, que nous dormions ou soyons éveillés.
Frère Philippe-Joseph
[1] Pour préserver son humilité, je laisse entier le secret mais certains peuvent deviner.