Décès de notre fr. Christophe (André Louis) Chapuis
Dimanche 1er octobre 2023, notre frère Christophe (André Louis) Chapuis est parti vers la maison du Père. Il était âgé de 93 ans.
Homélie des obsèques du fr. Christophe, 5 octobre 2023 :
Lectures : 1 Jn 3,1-2 ; Lc 12,32-40
Frères et sœurs, cet évangile nous invite à nous tenir prêts quand vient le moment de la rencontre avec le Fils de l'Homme. Et le frère Christophe était tout à fait prêt. Sa nationalité suisse lui donnait une ponctualité exemplaire. Lui qui possédait une horloge intégrée, il n'aurait pas pu laisser passer cette Heure. En bon archiviste, il avait d'ailleurs tout préparé méticuleusement, et nous avons retrouvé plusieurs listes où étaient indiquées précisément toutes les étapes de sa vie, les emplois et services au monastère. Son plus beau tablier de service a été incontestablement celui qu'il a revêtu en venant à Rome, comme secrétaire auprès de deux Abbés Primats de la Confédération bénédictine. Plusieurs fois dans son existence, le Seigneur a failli venir chercher frère Christophe. Une fois particulièrement, quand il a dû subir une grave opération de l'intestin, et accepter les limites physiques qui en résultèrent. Cela, il l'a supporté avec beaucoup de patience et de discrétion.
Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. Le trésor du frère Christophe, c'était sa relation au Christ. Il l'attendait de pied ferme. Comme le dit l'évangile, il ne savait pas quand le Maître passerait. Cela pouvait arriver n'importe quand, à minuit ou à trois heures du matin, et il faut être trouvé prêt, en tenue de service pour l'accueillir et lui ouvrir la porte. Oui, frère Christophe était prêt comme un scout, « droit dans ses bottes », un peu au « garde-à-vous », tel un garde-suisse devant les palais du Vatican, qui observe du coin de l'œil tout ce qui se passe, sans manifester la moindre émotion. De fait, si frère Christophe était un grand sensible, passionné de musique, il n'empêche qu'il ne montrait pas vraiment ses émotions. Il pouvait même être raide et désagréable. Il avait souvent des propos surprenants, voire choquants, et il ne s'en rendait pas compte. Un exemple : une personne extérieure nous écrivait ces jours-ci : « Quand j'étais venu le rencontrer, il ne me connaissait pas ; il m'a tout de suite demandé d'une manière condescendante : 'Quel est votre problème ?' ». Ensuite, les choses se sont mieux passées, puisque cette personne lui a parlé d'un évêque suisse qu'elle connaissait, et la sympathie est née à partir de ce moment-là. En fait, avec le frère Christophe, il fallait briser la glace. Ne pas en rester à l'extérieur dur et sévère, mais creuser un peu pour aller plus loin. Cela supposait de ne pas trop parler de certains sujets conflictuels comme la politique ou la liturgie. Sinon, il se raidissait et se murait dans un silence boudeur, montrant par là qu'il était fâché. L'étrangeté lui faisait peur. Frère Christophe était rassuré en terrain connu et prévisible, ou devant la simplicité des personnes. Il acceptait de se laisser désarmer et de faire tomber la carapace quand, par exemple, il était en contact avec un enfant. Capable de donner à manger à la petite fille d'une amie, de rire et même de jouer. Derrière son austérité apparente se cachait un « bon vivant », qui pouvait plaisanter. Frère Christophe n'avait pas le cœur dur, et il aimait la communauté, malgré l'étrangeté qu'elle pouvait représenter pour lui à travers ses choix liturgiques, notamment. Il lui est resté fidèle. A la fin, on ne pouvait plus distinguer chez notre frère ce qui relevait de la plaisanterie ou de la critique. C'était devenu comme un costume, une seconde peau dans laquelle il s'était habitué à jouer. Voilà qui montre aussi que derrière le personnage, il y avait quelqu'un de profond.
Au fond, le frère Christophe se reconnaissait comme un « enfant de Dieu ». Comme le disait la première lecture, tirée de la première lettre de saint Jean, ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous serons semblables (à Dieu) car nous le verrons tel qu'il est. En Dieu, tout n'est pas manifesté. Et puisque nous sommes créés à son image, c'est la même réalité pour chacun de nous. Nous ne savons pas tout d'un frère, du mystère qu'il porte et qui n'a pas été révélé. Aujourd'hui, frère Christophe, vous pouvez tomber le masque, car le Seigneur vous accueille auprès de lui. Il vous reçoit comme vous-même vous l'avez reçu si souvent, en l'accueillant dans la personne du pauvre, du petit que vous aimiez pour sa simplicité. Ce petit, c'était le Fils de Dieu en personne, l'Enfant bien-aimé du Père, par qui nous sommes aimés. Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Frère Christophe, vous êtes maintenant comme un enfant dans les bras de votre Père, dépouillé de tous les artifices des adultes en ce monde. Vous êtes libérés du péché qui entrave et qui voile votre nature originelle. Vous avez retrouvé la simplicité des enfants de Dieu. Priez pour notre communauté et pour chacun de nous. Amen.
fr. Columba