Décès de notre fr. Paul-Marie Delsaux

Vendredi 1er décembre 2013, notre frère Paul-Marie (Paul) Delsaux est parti vers la maison du Père. Il était âgé de 89 ans.

Homélie des obsèques du fr. Paul-Marie

Lectures : Is 11, 1-10 ; c 10, 21-24

Mot d'accueil :

Chers frères et sœurs, nous sommes venus aujourd'hui prier pour notre frère Paul-Marie. Ces dernières années, il devenait rare de pouvoir se faire reconnaître de lui, le contact semblait rompu. C'est la situation même par laquelle la prière nous oblige à passer. Dieu semble loin, absent, il ne répond pas. C'est l'exemple et le témoignage des autres qui nous invite pourtant à persévérer, à prier quand même, à louer au-delà du silence, sans attendre la réponse, et c'est aussi la conviction que nous avons été précédés par l'action de Dieu, par sa grâce. Frère Paul-Marie fut un exemple de prière persévérante, fidèle. Qu'il nous aide encore à grandir dans la foi.

Homélie :

Ce sont deux lectures magnifiques qui nous sont offertes pour accompagner frère Paul-Marie aujourd'hui.

J'aimerais partir de la finale de notre évangile : « heureux les yeux qui voient ce que vous voyez… beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez » Le désir de mieux voir a été un moteur dans la vie spirituelle de frère Paul-Marie.

Pour sa prise d'habit au monastère, en 89, le Père Abbé Thierry lui propose de faire lui-même le commentaire d'un texte biblique. Frère Paul-Marie choisit Zachée, qui monte sur un arbre pour voir passer Jésus, et il explique : « ça fait longtemps que je cherche à voir qui est Jésus. »

Et de fait, né dans une famille très chrétienne, Paul a reçu la grâce d'une vocation très précoce. Il n'est pas le seul : son frère aîné sera prêtre et l'une de ses sœurs deviendra petite sœur des Pauvres. Dès la classe de troisième, chez les Frères des Écoles chrétiennes, l'idée d'un engagement se précise, et à 18 ans, le voilà novice dans cet Institut. M'est revenu le nom qu'il reçoit alors dans un ordre très nombreux où l'on veut qu'il n'y ait pas deux frères qui portent le même nom : pour Paul, ce sera « Florentin-Louis » ! Il enseigne donc à Tourcoing, il aime l'éducation, il y croit, il s'y donne, mais il cherche encore à mieux voir Jésus. La coopération lui permet d'aller en Israël, le pays de Jésus, et d'y passer trois ans : il enseigne à Jaffa, à Tel-Aviv. Au retour, il enseigne à Amiens, à Lille.

À 34 ans s'ouvre pour lui une deuxième étape marquante, avec la mort brutale de son frère aîné, et la crise de mai 68. Pour voir de plus près Jésus, il a le désir et le courage de s'approcher de ceux qu'il estime être les plus pauvres, les plus délaissés. Avec l'accord de ses supérieurs, il devient F.M.O, « frère en monde ouvrier », travaille de nuit en usine chez Lesieur, puis comme débardeur, docker au port de Dunkerque. Il s'engage comme syndicaliste dans l'ACO, au CCFD, sans quitter son groupe biblique, ni le groupe de prière sur la paroisse.

Après deux années rudes, il revient à l'enseignement, mais gardera pour toujours une profonde solidarité avec le monde ouvrier. Les années passent, qui ne sont pas un long fleuve tranquille, mais une recherche exigeante et obstinée, marquée d'épreuves aussi.

À 54 ans, la retraite se profile et le désir est toujours là. Ce n'est pas la foule des gens qui l'empêche de voir Jésus, comme pour Zachée, mais, ainsi qu'il le dit lui-même au moment de sa prise d'habit : « il y avait une foule de choses qui me gênaient : le boulot, les soucis, le stress, la télé… si bien que même quand j'en avais le temps, je trouvais toujours de bonnes excuses pour faire autre chose. Ce n'est pas la première fois que je grimpe à cet arbre ; mon arbre à moi, ce n'est pas un sycomore, c'est En Calcat ! Tous les ans, depuis des années, j'y montais car je savais que Jésus devait passer par là. Et j'ai fini par entendre Jésus me crier : 'Il faut que j'aille demeurer chez toi'. Et depuis, c'est la joie ! ».

Plusieurs de ses frères et sœurs s'étaient installés dans le Tarn, ce qui explique ces séjours lors des vacances scolaires. Le tournant est pris en 89, sur des chapeaux de roue. Comme il y a déjà un frère Paul à En Calcat, qui ne lui ressemble guère, il devient frère Paul-Marie. C'est plus facile à porter que Florentin-Louis.

Chez lui, les tournants, les détours ne sont jamais des reniements, il reste incroyablement fidèle aux personnes et aux intentions qui lui sont chères, à sa famille, à tous ceux qui ont marqué sa route. Sa vie montre de grands changements, mais le cap intérieur reste le même : mieux voir qui est Jésus, ce qu'il a conscience d'expérimenter de façon neuve avec la vie communautaire, l'office, la lectio divina et les multiples tâches qui lui seront proposées, auxquelles il se donne sans compter, à chaque fois : cuisinier, hôtelier, portier, secrétaire infatigable de la commission d'entraide, vaguemestre chargé des courses et du courrier quotidien à Dourgne au volant de la Méhari : il est ainsi  longtemps le visage public de notre communauté pour les gens de Dourgne, simple, serviable, discret.

Reste la dernière étape, celle qu'il vient de parcourir depuis huit ans, depuis sa chute dans l'escalier de notre infirmerie en 2015, qui lui laisse une perte cognitive irrémédiable et le handicap de sa hanche, dont il n'a plus conscience. Le voilà aux Arcades avec une autre communauté de vie. Il croit avoir 54 ans, l'âge de son précédent tournant, et il est content d'être jeune au milieu des anciens. Il semble heureux, paisible, magnifiquement soigné et accompagné dans la maison de retraite de Dourgne.

Là, frère Paul-Marie, tu as expérimenté le voir-aveugle. Voir Jésus en étant seulement vu de Lui, connu de Lui seul. C'est le cœur de la Règle de saint Benoît, si l'on y réfléchit bien : croire, savoir qu'en tout lieu Dieu nous regarde, et ce regard peut suffir à notre bonheur, comme Zachée l'a expérimenté quand Jésus a levé les yeux vers lui, à sa grande surprise. Aujourd'hui, tu vois, encore mieux, tu es vu, dans la lumière. Alors prie encore pour nous, demande pour nous la grâce de chercher mieux le regard de Jésus, en tout lieu, en toute personne. Amen.

frère David