Le Saint Sacrement (B) Mc 14, 12-16.22-26

Certains se souviennent peut-être des processions du Saint Sacrement quand on jetait des pétales de roses au passage de l'ostensoir et qu'on faisait des stations dans des reposoirs abondamment fleuris… D'autres se souviendront que, dans la Drôme, nos frères protestants barraient la route à la procession avec des charrettes de fumier. Qui se souvient que la révolution française en 1789, a commencé par une procession solennelle du Saint Sacrement dans les rues de Paris ? Autres temps, autres mœurs ! Chaque époque a cherché à exprimer à sa manière son amour et sa ferveur pour le corps de Jésus. Amour pour ce corps que Jésus nous livre et nous donne encore et toujours depuis la veille de sa Passion jusqu'à la consommation des siècles.

Aujourd'hui encore, nous cherchons à répondre à l'Amour fou de Jésus par nos propres marques d'amour. Et, manifester publiquement son amour a toujours quelque chose de décalé, de déplacé. Mais, si nous y regardons de près, la manière dont Jésus nous a manifesté son amour n'a-t-il pas quelque chose de décalé, de déplacé et, disons-le, de profondément choquant ? « Comment cet homme peut-il donner sa chair à manger ? » et toute la suite n'est pas moins choquante : la passion, la mort et l'incroyable résurrection ! Saint Paul n'hésite pas à parler de la « folie de Dieu », folie d'amour. Réfléchissons bien : qu'est-ce que Jésus pouvait nous donner de plus que sa vie ? Et qu'est-ce qu'un homme ou une femme peut donner de plus que son corps ? Si je donne mon corps, il ne me reste plus rien ! Dieu ne se contente pas de nous donner son esprit, il nous donne son corps, il nous donne tout et il ne lui reste plus rien. Attention aux spiritualités trop « spirituelles » et désincarnées que j'ose appeler spiritualités de confort.

Jésus ne nous offre pas un dîner-spectacle confortablement assis, avec whisky et petits fours, en écoutant plus ou moins distraitement un commentaire des évangiles avec fond musical si possible. Jésus nous offre une nourriture de combat, la nourriture des martyrs. On nous a appris que manger le corps et boire le sang de Jésus, c'est participer à la mort et à la résurrection de Jésus. En bon français, que veut dire le mot « participer » ? N'est-ce pas « prendre part à » ? Mais notre mentalité polluée par le capitalisme ne nous a-t-elle pas conduit subrepticement à confondre « prendre part à » avec « profiter de » ? Jésus, en se donnant à ses disciples leur dit « faites ceci », ce qui veut dire « cela, faites-le comme moi, avec moi », prenez votre croix, donnez votre vie, votre sang. Communier à Jésus, c'est désirer mourir d'amour avec lui comme le fit Ste Thérèse de l'Enfant Jésus. A ce stade, il n'y a plus de différence entre vivre et mourir. « Mourir m'est un gain ! » crie saint Paul.

Mais concrètement ? Dans notre vie quotidienne, dans l'usure et la lassitude du quotidien ? Saint Paul donne un exemple très concret aux chrétiens d'Ephèse : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'église, il s'est livré pour elle » Paul, en écrivant « il s'est livré » fait référence explicite à l'eucharistie et à la croix. Il invite donc les maris à se livrer à leur femme comme du bon pain et à donner leur vie comme Jésus. J'imagine que c'est ce que désirent et font tous les maris ici présents. C'est ainsi que peu à peu, en vivant de plus en plus profondément et intensément le sacrement de l'eucharistie, nous devenons nous-mêmes « sacrement » de Jésus pour le monde, ce que le concile Vatican II a exprimé en disant : « l'église est comme le sacrement du Christ »

Ce que nous vivons chaque dimanche est donc à la fois ce qu'il y a de plus simple et de plus extraordinaire, de plus humain et de plus divin. Qu'attendons-nous ? Rendons amour pour amour… et n'ayons pas peur de fêter Dieu dans son Corps et dans le nôtre.

F. Pierre