Jour de Noël Jn 1, 1-18
Frères et sœurs, pour ceux d'entre vous qui n'étaient pas à la messe de minuit, il y a comme une petite frustration de ne pas avoir entendu ce matin le récit traditionnel de la crèche, avec les bergers, Marie et Joseph autour de l'enfant Jésus. Mais voilà, nous sommes maintenant à la messe du jour, et il faut que la discrète lumière de Noël de cette nuit nous éclaire un peu plus. Dans l'évangile de la nuit, bien qu'on parle d'une naissance, nous n'avons eu que la fin de l'histoire. Pour comprendre ce qu'est la naissance de Jésus, il faut remonter très loin en arrière, au commencement du monde. Et c'est notre évangile de ce matin qui nous le dit. Alors, vous êtes prêts ? J'espère que vous êtes bien réveillés, car nous allons augmenter un peu l'intensité de la lumière. Attention, parce que ce Prologue, c'est de la haute théologie !
A Noël, nous disons que Jésus, le Fils de Dieu, est « né ». En réalité, il naît dans la chair, dans un corps, mais il existe en fait en tant que Verbe depuis toujours auprès de son Père qui est Dieu. Il est la Parole même de Dieu. Imaginez quelqu'un qui veut parler. Il prend d'abord un temps de silence. Ensuite, il dit quelques mots et commence à raconter son histoire. C'est seulement à la fin que l'on comprend là où il voulait en venir. Eh bien, c'est la même chose avec Dieu, quand il nous parle. Son Verbe, sa Parole ne s'exprime pas encore clairement au début. Pourtant, c'est par cette Parole que le monde est créé. Le Verbe s'exprime d'abord par le silence des plantes, des animaux, de la création. Puis vient l'homme des cavernes qui grogne avant de savoir vraiment articuler, comme un enfant doué de la parole, mais qui ne peut pas encore s'exprimer. Ensuite, Dieu parle par les patriarches, les prophètes, à bien des reprises et de bien des manières, nous dit la lettre aux Hébreux. Et enfin, cette Parole se fait visible, corporelle, en la personne de Jésus qui est le Christ, le Messie attendu par le peuple d'Israël. C'est à ce moment-là que nous comprenons pourquoi il fallait tant de balbutiements. Tout est manifesté, affiché au grand jour, en pleine lumière. Oui, le Verbe est la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde.
Et pourtant, malgré cette lumière, nous avons toujours du mal à le reconnaître. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l'existence, mais le monde ne l'a pas reconnu. Toute l'histoire a été racontée, mais on n'a pas bien écouté. Nous étions distraits, l'esprit égaré. Et c'est bien normal, car pendant que quelqu'un raconte une longue histoire, ou une homélie, on a tendance à s'endormir ! Et on se dit : « J'ai loupé quelque chose, je ne comprends pas bien la chute de l'histoire ». Effectivement, la chute de l'histoire nous échappe, surtout que ça se complique pour cet enfant qui vient de naître. Un roi va essayer de tuer Jésus alors qu'il est encore dans le berceau. Quand il sera devenu adulte, le Christ, en tant que Parole du Père, va encore essayer de dire des choses que nous aurons du mal à comprendre, parce que nous sommes lents à croire aux paroles des prophètes (cf. Lc 24,25).
Frères et sœurs, il fallait vraiment que Dieu se mette à notre portée, qu'il nous parle simplement, car c'est trop compliqué pour nous ! C'est pour ça qu'il nous dit son amour en la personne d'un enfant qui ne peut précisément pas parler. Parce qu'au moins, nous pouvons le comprendre, au-delà des mots. Il se tient en silence devant nous, et nous aussi devant lui. En fait, Dieu a déjà beaucoup parlé, mais c'est comme s'il l'avait fait jusqu'à présent dans une langue que nous ne comprenions pas. Et là, il se met enfin à dire quelque chose qu'on peut saisir. Curieusement, c'est par une image, ou plutôt par un corps qu'il nous parle le mieux. Au moins, c'est du concret, ça nous parle enfin. L'Emmanuel est comme nous, « avec nous » !
Dans notre monde saturé de paroles, de messages, de publicités, de communications en tous genres, nous avons besoin de retrouver le silence. Car c'est en lui que nous pouvons saisir le vrai sens de la parole. C'est en lui que tout peut être dit en vérité. Si nous ne prenons jamais de moments de silence, notre vie reste à la surface, et nos paroles demeurent stériles, car elles manquent de profondeur. Le Verbe, la Parole de Dieu ne peut naître en nous que si nous faisons silence en nous-mêmes, que si nous nous taisons pour lui laisser toute la place. Si nous voulons accueillir, reconnaître ce Fils, il faut que nous arrêtions de « parler pour ne rien dire », et que nous le laissions parler, lui !
Dans le pain et le vin que nous allons consacrer dans un instant, Dieu se donne à nous dans le silence de son Fils Premier-Né. En lui, sa parole prend chair, prend corps et sang. Elle vient jusqu'en nous, jusque dans notre propre corps et notre propre sang. Il est vraiment l'un de nous, alors soyons dans la joie ! Amen.
Fr. Columba