Jeudi Saint 1er avril 2021 Jn 13, 1-15

Frères et sœurs, en ce jeudi saint commence la marche vers Pâques, le « passage » du Seigneur. La présence des fleurs, des étoles blanches, ne doit pas nous faire oublier qu’il s’agit d’une fête au goût d’amertume. L’un des Douze, Judas Iscariote, tel un trouble-fête, va livrer Jésus à la mort. La lumière est encore présente, mais on sent qu’elle s’éteint peu à peu. Le chemin se resserre, la nuit se fait de plus en plus proche et nous entrons peu à peu avec le Maître dans l’obscurité la plus complète.

Ce « passage » des ténèbres à la lumière va durer plusieurs jours, comme le temps d’un accouchement à la fin duquel le Christ va émerger, et ressusciter d’entre les morts. Lors d’un passage - qui se fait dans les larmes et la douleur -, il y a toujours un « avant » et un « après ». Au cœur de la pandémie de Covid, nous savons ce que représente un tel passage, et nous aspirons à sortir du tunnel, de la galerie obscure dans laquelle l’humanité est engouffrée depuis un an. Nous savons ce que nous avons quitté, mais nous ne savons pas où nous allons… Avant. Après. Il en est de même pour le « passage du Seigneur », dans le livre de l’Exode : avant que le Seigneur ne traverse le pays d’Egypte, il s’agit, pour les Hébreux, de choisir un agneau, de l’immoler et de le rôtir au feu, en le mangeant à la hâte, avec des pains azymes. Le sang de cet agneau est répandu sur le linteau des portes, pour qu’il serve de signe. Dieu dit : Je verrai le sang, et je passerai. Vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Egypte. Après ce passage, c’est le temps du mémorial : Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est une loi perpétuelle : d’âge en âge vous la fêterez.

Cet « avant » et cet « après », nous les retrouvons aussi pour la Pâque, le passage de Jésus. Avant de passer à son Père, le Christ annonce, lors de la Cène, le temps de sa Passion. Puis, après sa résurrection, ce thème du repas est toujours présent : Emmaüs, mais aussi le déjeuner au bord du lac de Tibériade avec le pain et le poisson grillé. L’Eucharistie est le Mémorial par excellence, où l’on se souvient de la Pâque de Jésus, ce Passage qui s’enracine dans celui du peuple hébreu dont il est issu. Dans l’ancienne comme dans la nouvelle Alliance, c’est une Délivrance, une Libération, un Salut qui est à l’œuvre. Le mal est exterminé, et cela à travers la figure des premiers-nés d’Egypte. La Parole toute-puissante de Dieu vient anéantir toutes les forces de division et de péché qui sont dans le monde.

Nous ne pouvons pas comprendre la Pâque de Jésus sans d’abord approfondir le sens de la Pâque juive. Il faut bien se rappeler que le repas pascal, pour les hébreux, s’enracinait dans une ancienne coutume, celle des Sémites nomades qui, au moment de partir pour les pâturages d’été, lors de la pleine lune au printemps, célébraient une fête bien particulière. Pendant cette fête, qui avait lieu la nuit, on ne pouvait pas faire lever le pain, et il y avait seulement quelques herbes amères dans le désert. Ce nouveau départ que constituait la transhumance était risqué, car la route était dangereuse. On immolait donc un agneau, et on répandait le sang de cet animal sur les piquets des tentes, afin de conjurer le sort. Ensuite, les Hébreux ont continué de célébrer cette coutume avec les deux rites des pains sans levain ou azymes, et l’immolation de l’agneau pascal.

Cela nous montre que la Pâque est un chemin, un itinéraire dans le désert, au cœur de la nuit. Il faut faire vite, se dépêcher, manger en hâte car le moment est difficile, risqué. Ce que tu as à faire, fais-le vite, dit Jésus à Judas qui le livre. (…) Quand Judas  eut pris la bouchée, il sortit aussitôt ; il faisait nuit (Jn 13 ; 27, 30). Nous en faisons l’expérience quand nous nous retrouvons dans la nuit, quelle qu’elle soit : ce n’est pas agréable, car nous n’y voyons rien. Difficile de s’attarder dans ce contexte hostile, quand on sait que notre vie est fragilisée, menacée. Peu après ces versets, le Christ dit aux autres disciples : Vous me chercherez (…) Là où je m’en vais, vous ne pouvez pas y aller (v.33). Effectivement, avec Pierre, nous ne comprenons pas encore ce que Jésus fait. Pourquoi lui, le Maître lave-t-il les pieds de ses disciples, c’est le monde à l’envers ! Il faut nous laisser faire par lui, toujours. Le Christ connaît le chemin qui passe à travers la nuit de la foi. Il est lui-même ce Chemin, sentier étroit qui mène à la Vie, difficile passage par l’obscurité de l’amour oblatif et désintéressé qu’est la charité. Maintenant, nous allons reproduire ce geste du lavement des pieds entre nous. Si nous ne saisissons pas vraiment la portée de celui-ci, c’est peut-être parce que nos yeux ne sont pas encore accoutumés à avancer dans l’obscurité. Que la lumière du Christ soit notre lampe dans la nuit. Amen.

Fr. Columba