Annonciation du Seigneur Lc 1, 26-38

Connaissez-vous la fresque d’Arcabas à Saint Hugues de Chartreuse où l’ange Gabriel déboule à toute vitesse sur sa bicyclette pour porter l’Annonce à Marie ? Oui, après avoir été si patient, Dieu est pressé, il ne peut plus souffrir aucun retard dans l’annonce et la réalisation du salut promis. Il faut accomplir rapidement les promesses faites à nos Pères. De fait, le Père va agir avec sa rapide lenteur habituelle. Marie et Joseph devront patienter trente ans avant d’apercevoir les prémices du Royaume annoncé et puis, tout s’emballera, et la mission sera bouclée en deux ou trois petites années.

Tout est facile pour nous aujourd’hui qui connaissons la fin de l’histoire, mais était-ce évident pour Marie et Joseph ? Les évangélistes insistent sur leur étonnement. C’est peut-être cet étonnement, teinté de crainte et d’émerveillement, qui nous manque aujourd’hui pour réaliser la profondeur de l’incarnation. L’incarnation en Marie est préfiguration de l’incarnation du Verbe en chacun de nous comme le désirait sainte Elisabeth de la Trinité : « qu’il se fasse en moi comme une nouvelle incarnation du Verbe »

C’est à chacun de nous que l’ange Gabriel est expédié à toute vitesse sur sa bicyclette qui ne demande qu’à rouler sur l’autoroute de notre cœur. Origène le disait déjà dans son commentaire de l’évangile de Jean en pensant sans doute à la parole de Saint Paul aux Galates : « Mes petits enfants que, dans la douleur, j’enfante à nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » L’annonce faite à Marie est la première et donc la plus fraîche et la plus resplendissante de grâce. C’est la première qui nous met en éveil et qui nous montre comment l’ange a l’habitude de se présenter à nous pour que nous sachions, à notre tour, nous étonner, nous émerveiller, répondre et obéir à l’invitation afin que, comme en Marie, la Parole prenne chair en nous et que nous la mettions au monde.

Charles Péguy a merveilleusement parlé de cet encharnellement de la Parole en chaque chrétien, en chaque baptisé, en chacun de nous, encharnellement qui est la condition pour que la Parole demeure vivante, que le Verbe de Dieu demeure vivant :

« Miracle des miracles, mon enfant, mystère des mystères.
C'est à nous, infirmes, qu'il a été donné,
C'est de nous qu'il dépend, infirmes et charnels,
De faire vivre et de nourrir et de garder vivantes dans le temps

Ces paroles prononcées vivantes dans le temps.
De conserver vivantes les paroles de vie,
De nourrir de notre sang, de notre chair, de notre cœur
Des paroles qui sans nous retomberaient décharnées.
D'assurer, (c'est incroyable), d'assurer aux paroles éternelles
comme une deuxième éternité,
Une éternité temporelle et charnelle, une éternité de chair et de sang »

Remarquons enfin que Marie, qui a le sens pratique des femmes et qui s’interroge sur le « comment ? », ne demande pas « que dois-je faire ? » mais « comment cela se fera-t-il ? ». Elle se met non dans la position du faire mais dans la position du laisser-faire, c’est-à-dire de laisser déblayer en elle tout obstacle à l’action de Dieu : « FIAT ! », qu’il soit fait selon ta Parole, selon le Verbe qui prend chair, qui se fait chair en elle. C’est ainsi qu’en Marie, tout est grâce. C’est ainsi qu’en nous tout peut devenir grâce.

Alors, demandons à l’archange Gabriel de nous prêter sa bicyclette pour porter à nos frères la joyeuse Annonce de l’avènement du Règne de Dieu tout comme Marie se rend en toute hâte auprès de sa cousine Elisabeth.

fr. Pierre