4° Dimanche de Carême, de Lætare (B) Jn 3, 14-21
Frères et sœurs, il est des regards qui en disent long... souvenons-nous !
Souvenons-nous de ce regard du malade qui guettait nos réactions pour être rassuré.
Souvenons-nous de cet handicapé qui n’avait d’autre langage que son regard.
Souvenons-nous de ce regard qui communiait à notre souffrance.
Souvenons-nous de ce regard qui nous demandait tout simplement si nous aimions encore.
Peut-être nous souvenons-nous aussi de ce regard qui nous condamnait ou qui exprimait une rancune.
Oui, frères et sœurs, la relation entre deux personnes ne s’exprime pas que par des mots, elle se manifeste également par des silences qu’accompagne un simple regard.
Et si la relation avec le Christ s’exprimait aussi par un échange de regards ?
Telle est l’invitation que nous adresse le Seigneur dans cette page d’Évangile que nous venons d’accueillir.
Précisément, le regard du Christ élevé sur la croix est un regard qui sauve.
Le regard que nous portons sur le crucifié est un regard qui fait confiance
Alors nos regards peuvent se croiser !
Son regard est un regard qui sauve, nous promet Jésus.
Ses auditeurs se souviennent de l’événement dont il fait mémoire : le serpent de bronze élevé par Moïse dans le désert. Au cours des quarante années de marche au désert, les Hébreux furent attaqués par un ennemi redoutable, des serpents à la morsure «brûlante»[1]. Moïse fit un caducée, un serpent de bronze guérisseur, élevé sur un bâton, «celui qui se tournait vers ce signe était sauvé, non pas à cause de ce qu’il regardait, mais par toi, le Sauveur de tous»[2] précise le Livre de la Sagesse.
Jésus se présente donc comme celui qui vient, «non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé».
Durant toute sa vie publique, Jésus portera ainsi ce regard sauveur sur tous ceux et celles qu’il rencontrera.
Rappelons-nous son regard sur les foules affamées, et égarées comme des brebis sans berger, celui sur les exclus à qui il rendra la dignité, son regard sur les malades à qui il donnera la guérison, celui sur les pécheurs à qui il offrira son pardon, sur le jeune homme riche qu’il se prend à aimer.
Et dans son regard porté sur l’apôtre Pierre qui vient de le renier, que manifeste-t-il ? Sinon son amitié et son pardon.
Si le regard du Christ est un regard qui sauve, il guette aussi le regard de ceux qu’il veut sauver, un regard plein de confiance.
L’avons-nous remarqué, dans ce court passage d’Évangile accueilli à l’instant, le verbe «croire» est mentionné cinq fois. Si le Christ est élevé, n’est-ce pas pour que nous levions les yeux vers lui en signe d’appel et donc de confiance.
Dans le regard du malade vers son médecin ou son chirurgien s’exprime la confiance.
Il en est de même dans le regard de l’enfant qui a besoin d’être rassuré par ses parents, ou dans le regard de celui qui doute de lui-même, mais qui guette la confiance de ses proches.
Voulez-vous, frères et sœurs, que nous nous arrêtions sur les regards échangés, un certain vendredi de l’histoire, sur cette colline du Golgotha, près de Jérusalem ?
Du haut de la croix, Jésus regarde ceux qui l’entourent.
Il regarde Marie, sa mère, et le disciple qu’il aimait : ils sont là debout, les yeux levés vers le fils et le Maitre.
Au moment où il donne sa vie, Jésus, le crucifié, confie sa mère à l’apôtre saint Jean.
Il regarde ceux qui l’ont mis en croix et qui, en levant les yeux, ricanent.
Que dit-il ? «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ![3]»
Il regarde le condamné qui a levé les yeux vers lui pour le supplier, et il lui promet pour le jour-même, le paradis avec lui.
Enfin, il regarde Dieu son Père en lui criant le cri de tout homme qui souffre :
«Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? [4]» mais, se ressaisissant, il ajoute : «Père, entre tes mains je remets mon esprit ! [5]»
Le Père reste silencieux, mais son regard le relèvera au matin de Pâques.
Frères et sœurs, à trois semaines de la fête de Pâques, une invitation nous est faite pour que notre regard croise le regard du Christ. En effet, le sacrement du pardon et de la réconciliation est un échange de regards.
Si nous levons les yeux vers le Christ élevé de terre, c’est pour qu’en le regardant avec foi, avec confiance, nous soyons sauvés, pardonnés.
N'est-ce pas une façon «de faire la vérité et donc de venir à la lumière».
De son regard, le Christ nous demande : «Vas-tu préférer les ténèbres à la lumière? »
Frères et sœurs, savons-nous que le Christ attend que nous levions les yeux vers lui ?
Son regard nous est assuré, non pas un regard qui juge, encore moins un regard qui condamne, son regard veut nous sauver, nous relever, nous rendre confiance, en un mot nous aimer !
Je ne peux oublier cet homme qui me disait un jour : «Ceux qui m’ont aimé sont ceux qui m’ont élevé ! » et il accompagnait sa parole d’un geste de ses mains qu’il élevait. Et bien, voulons-nous que nous nous laissions élever par Celui qui fut élevé sur la croix par amour ?
Le Père Paul Baudiquey, spécialiste de l’art pictural et qui a tant médité sur l’œuvre de Rembrandt, devant le tableau du retour de l’enfant prodigue, a cette belle parole : «les vrais regards d’amour sont ceux qui nous espèrent.»
Frères et sœurs, dans la rencontre du sacrement du pardon, Dieu nous espère en nous attendant, alors nous aussi espérons en sa tendresse de Père.
Amen.
Fr. Benoît-Marie
[1] Nb 21, 6-9. [2] Sg 16, 7. [3] Lc 23, 34. [4] Mc 15, 33. [5] Lc 23, 46.