30° Dimanche du TO*B Mc 10, 46b-52
C'est l'ultime montée à Jérusalem pour Jésus. Sur son chemin, à la sortie de Jéricho, se trouve Bartimée, aveugle, mendiant. Bartimée est hors de toute vie sociale, pas de regard pour lui, pas d'oreille pour l'écouter, pas de main tendue. Il n'a rien sinon ses yeux aveugles et son manteau. Il n'est rien sinon un cri qui retentit. Et c'est un cri qu'on ne veut pas entendre. C'est un aveugle qu'on ne veut pas voir. Beaucoup de gens le rabrouent pour le faire taire. Bartimée est un exclus, pis un rebus, un maudit qui dérange les disciples et la foule nombreuse.
Selon le livre du Deutéronome (Dt 28, 15-46), celui qui n'obéit pas à la voix du Seigneur sera atteint de malédictions que le livre énumère dont la suivante (v. 28-29) : « Le Seigneur te frappera de délire, d'aveuglement et d'égarement des sens, au point que tu iras à tâtons en plein midi comme l'aveugle va à tâtons dans les ténèbres... »
Ainsi, la cécité serait une punition pour une transgression aux commandements de Dieu, à son alliance. Elle serait la sanction d'une justice immanente. À cela, s'ajoute un état de mendicité qui, au temps de Jésus et de l'antiquité, consigne le mendiant à un être répugnant, à un parasite social qui ne lui vaut que mépris et déconsidération.
Relégué, Bartimée est au bord du chemin, au bord de la vie, au bord du monde. Enfermé dans les ténèbres, il est assis et mendit, immobile à côté d'une foule nombreuse en mouvement. Mais son cœur est en alerte, son oreille est attentive aux bruits du monde, à la rumeur. Jésus de Nazareth passe sur son bord. Et son cri résonne, deux fois : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! ». Jésus s'arrête. Lui aussi se fait immobile. Lui aussi fait entendre sa voix : « Appelez-le. »
Un simple arrêt de Jésus, un appel direct de Jésus et le monde se fige, prêt à être transformé. Le temps s'arrête, suspebdu à l'orée d'une nouvelle dimension. Jésus transfigure la situation. Il met en mouvement l'immobile Bartimée qui bondit, jette son manteau et court vers lui. Le Seigneur passe et Bartimée l'entend. Cet appel de Jésus déjà l'illumine. Cette seule parole d'appel met une clarté d'aurore dans la nuit de Bartimée. Cette seule parole est la promesse d'un jour nouveau qui va bientôt se lever.
Jésus va faire du neuf. Jésus va faire un nouveau regard. Jésus va faire de la lumière pour Bartimée. Car Jésus ne lui demande pas ce qu'il peut lui donner alors que Bartimée est mendiant, mais ce qu'il peut faire pour lui. « Faire » en grec a un sens d'accomplissement, de production, de célébration mais aussi de création de Dieu.
Aussi, lorsque Jésus, Fils de David, demande ce qu'il peut faire, c'est le Fils de Dieu qui demande à un homme aveugle ce qu'il peut créer pour lui. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus fait la lumière pour Bartimée, mais non sans lui. Jésus crée le jour pour Bartimée, mais avec sa liberté. Jésus fait le soleil pour Bartimée, mais par sa foi. « Va, ta foi t'a sauvé » C'est le matin d'une vie nouvelle arrachée aux ténèbres.
Frères et sœurs, c'est aujourd'hui pour nous une formidable leçon d'espérance et de courage. Bartimée est une figure admirable qui a refusé son aveuglement, qui a refusé sa consignation à l'état de mendiant, qui a bravé les disciples et la foule. Il a refusé d'être assigné au silence. Il ne s'est pas résigné à son immobilité. Il n'est pas maudit. Bartimée est un combattant, un survivant de l'opprobe, de la mort sociale, qui a mis son cœur en Jésus lui-même, qui a mis sa foi dans le Fils de David, qui a crié vers Dieu sa souffrance et sa rage sans crainte de la foule, des disciples, des convenances. C'est animé de l'Esprit de Dieu que Bartimée s'est dressé, jetant son manteau, son seul bien, pour un bien plus précieux encore et plus durable : la lumière de Dieu que désormais il va suivre.
Combien de 'Bartimée' au sein de ton peuple, Seigneur ? Jésus de Nazareth, Fils de David, prends pitié de tes disciples, de la foule de ton peuple, des aveugles de ton Église, des mendiants de ta maison. Fais la lumière sur les ténèbres de ton Église pour changer ce qui doit l'être et donne-nous la force de l'accomplir. Fais la vérité pour confondre les erreurs et le père du mensonge, donne-nous le courage de les démasquer et de les dénoncer. Fais la tempérance dans nos colères et la justice dans nos jugements pour juger avec équité et droiture de cœur. Jésus de Nazareth, fais que ton peuple, comme Bartimée, ne cesse jamais de se lever pour courir vers toi dans l'espérance, de crier ton nom dans la foi. Alors, par ton amour, tu le guériras et feras son salut auquel il aspire tant. Seigneur, fais un jour nouveau pour ton Église avec autant de soleils qu'il sera nécessaire pour l'éclairer. Seigneur sauve ton peuple, le reste d'Israël. Amen.
Fr. Nathanaël